À la une
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Plaidoirie de l'année
Imputabilité d’un accident de trajet en lien avec la consommation d’alcool lors d’un évènement professionnel
Risque hygiène sécurité
Présomption d'imputabilité et malaise vagal
Faute inexcusable de droit
Faute inexcusable de l’employeur dans le cas d’une collision entre deux hélicoptères en formation rapprochée
Indemnisation des souffrances physiques et morales
Risque contentieux social
Abus du droit de positionner librement les heures de délégations
Refus de CDI après un CDD : que dit la loi ?
Trajet domicile – travail d’un salarié itinérant : s’agit-il d’un temps de travail effectif ?
Temps de travail : la charge de la preuve incombe à l’entreprise utilisatrice
Droit de la preuve : admission des preuves déloyales présentées au cours d’un contentieux prud’homal
Interdiction de convoquer à un entretien individuel pendant le congé maternité même si la date de convocation est fixée au retour de la salariée
Compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dû à un dépassement de la durée moyenne hebdomadaire de travail
Risque pénal
Concours d’infractions pénales en matière d’accident du travail
Co-responsabilité de l’entreprise d’accueil et de l’entreprise extérieure dans la mise en place d’un protocole de sécurité
Risque environnemental
L’indemnisation du préjudice moral tiré de l’exploitation d’une installation classée non conforme à une mise en demeure
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Plaidoirie de l'année
Faites de fracas, de feux, de drames. Certains les redoutent alors que d’autres s’y complaisent, mais tous en souffrent. Les guerres.
La perte de cette humanité, celle d’un parent, d’un ami, d’un enfant, nourrit la violence autant que la vengeance. Toutes différentes et pourtant identiques. Les larmes.
Lorsque les canons raisonnent, la voix des sages devient inaudible. Ils assistent au déchaine- ment de ce qui sera laissé au jugement de l’Histoire. La justice.
Quand le silence se fera entendre, que le paysage de la désolation se dressera, que le pourquoi cédera sa place au comment.
Certains répèteront « plus jamais », mais ont-ils auparavant été entendus ?
Bien qu’ils puissent sembler futiles, les vœux restent placés entre les mains de la félicité.
Ils sont aussi espérance.
Pour 2023, déjà faite de conflits, nous avions plaidé pour une année d’humanité. De ne pas être entendus ne doit pas nous contraindre au silence, mais à renouveler nos efforts.
Ceux d’une conviction, d’une volonté pour que l’année 2024 soit une année de paix.
Valéry ABDOU
Imputabilité d’un accident de trajet en lien avec la consommation d’alcool lors d’un évènement professionnel
Malgré la différence des ordres juridictionnels selon que la victime soit un salarié ou un agent public, les situations contentieuses se ressemblent. Profitant de la publication d’un arrêt du 3 novembre 2023 par le Conseil d’Etat (n°459023) et faisant suite aux fêtes de fin d’année, il est pertinent d’en analyser la motivation et de la comparer aux situations traitées par la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, en application du code de la sécurité sociale, quant au lien entre consommation d’alcool et survenance d’un accident.
Dans l’arrêt susvisé, les ayants droits contestaient la décision de refus de la mairie de Paris de reconnaitre l’imputabilité au service de l’accident de la circulation survenu alors que la victime rejoignait son domicile après avoir assisté à une fête organisée en lien avec le service, au cours de laquelle des boissons alcoolisées avaient été consommées.
La Cour administrative d’appel confirmait le jugement de première instance et la veuve formait un recours devant le Conseil d’Etat. Ayant été relevé que le taux d’alcool était supérieur au taux maximal autorisé, pour la Cour d’appel le fait de conduire sous imprégnation alcoolique « était constitutif d’un fait personnel rendant l’accident détachable du service ». Ainsi, le fait que la consommation d’alcool ait eu lieu lors d’un évènement organisé pendant le temps de travail d’une part et que l’accident soit survenu sur le trajet habituel d’autre part, n’ont pas été retenus en faveur d’une quelconque imputabilité professionnelle.
Le Conseil d’État confirme l’arrêt déféré, excluant ainsi tout droit en lien avec la rente viagère d’invalidité, la pension retraite.
De cette appréciation souveraine, la comparaison avec les arrêts rendus par la 2ème chambre civile s’impose. Indépendamment des différences de statuts, l’extension de cette jurisprudence, voire son débordement au droit privé, pourrait permettre d’exclure une forme de responsabilité de l’employeur.
Sur les définitions de l’accident de trajet
Les définitions légales
En droit public, l’article L822-19 du code général de la fonction publique dispose « qu’est réputé constituer un accident de trajet, tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service ».
La définition privatiste énoncée à l’article L.411-2 du code de la sécurité sociale est similaire, à la différence que la notion de « fait personnel » ou « de circonstance détachable du service » n’est pas visée. En lieu et place, le dernier alinéa exclut la qualification d’accident de trajet si le trajet a « été interrompu ou détourné pour un motif dicté par l’intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante ou indépendant de l’emploi ».
La distinction est importante, puisqu’à travers la notion de fait personnel de l’agent, on élargit le périmètre de l’exclusion de l’imputabilité, ne la limitant pas à la seule considération géographique quant à l’itinéraire choisi.
Ainsi, le fait de l’agent pourrait, comme dans l’arrêt commenté, ne pas s’analyser en un détour de l’itinéraire, mais à une consommation d’alcool illicite, laquelle rendrait le sinistre détachable des fonctions.
En droit de la sécurité sociale, le comportement du salarié importe peu, tant pour l’accident de trajet que pour l’accident de travail, dès lors que la subordination est établie, ou que l’accident survient sur le trajet protégé.
Sur l’arrêt commenté, tant la consommation d’alcool que le fait de prendre la route en état d’ébriété ont été conjointement considérés comme détachables des fonctions, alors même qu’il était établi que la fête à l’origine de la consommation d’alcool était bien de l’initiative de l’administration. Dans un arrêt du 24 juin 2003 (n°01-21501), la 2ème chambre civile a confirmé l’arrêt déféré, rejetant la qualification d’accident de trajet notamment au motif que la consommation d’alcool sur le lieu du travail écartait tout lien avec le travail.
Dès lors, la consommation d’alcool, en dehors du cadre de la subordination et bien qu’elle soit au lieu de travail, n’induit pas nécessairement l’application de la présomption quant à l’accident de trajet. A la lumière de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat et indépendamment de la notion de fait détachable, se pose la question de la cause de l’accident et donc de l’organisation de l’évènement à l’origine de la consommation d’alcool.
Lorsque la consommation d’alcool a lieu dans le cadre d’un évènement organisé par l’employeur, qu’en est-il de sa responsabilité à l’égard du salarié victime d’un accident sur le trajet retour ?
Sur l’imputabilité professionnelle
Sur le caractère anormal du trajet, la jurisprudence administrative est rigoureuse quant à l’appli- cation des dispositions susvisées. Ainsi, dans un arrêt du 10 février 2022, la cour administrative de Lyon a refusé l’imputabilité professionnelle dès lors que la durée du trajet avait excédé de plus d’une heure et quinze minute la durée « normale » vers le lieu de travail. Quant à la consommation d’alcool, là aussi la jurisprudence commentée s’inscrit dans une logique d’appréciation stricte, puisque dans un arrêt du 5 octobre 2021, la Cour d’appel de Paris avait rejeté l’imputabilité au service d’un accident de trajet au motif que l’agent était alcoolisé.
Toutefois, et concernant les faits de l’espèce donnant lieu à l’arrêt de novembre 2023, la différence résulte dans le fait, que c’est bien l’administration qui était à l’origine de l’évènement au cours duquel la consommation de boissons alcoolisées a eu lieu.
Or, pour caractériser une imputabilité professionnelle, la 2ème chambre civile n’hésite pas à élargir la chronologie et à rechercher les éléments pouvant survenir dans le cadre de la présomption. S’agissant d’un malaise cardiaque, dans son arrêt du 29 mai 2019 (n°18-16183) la Cour a considéré que l’existence préalable, pendant le trajet, de symptômes en lien avec le malaise cardiaque n’était pas de nature à exclure la présomption d’imputabilité.
Une telle logique a eu à s’appliquer dans le sens inverse. Ainsi, dans un arrêt du 15 juin 2017 (n°16- 18974) le fait que les symptômes aient été antérieurs à la fin de service a permis à la Cour de rattacher le décès survenu postérieurement à celui-ci, au travail.
Si les causes d’un accident de la circulation peuvent être multiples, il est une réalité que la consommation d’alcool vient en aggraver la probabilité. Or, lorsque cette consommation est, si ce n’est du fait, a minima résulte d’un évènement organisé par l’employeur, se pose la question du rattachement de cette cause au sinistre et donc de l’imputabilité professionnelle de ce dernier.
La jurisprudence du Conseil d’Etat permet l’exclusion de cette imputabilité professionnelle au seul motif de la notion d’acte détachable. Or, ni l’article L.411-1, ni L.411-2 n’évoque une telle clause d’exclusion, permettant de douter d’une décision similaire devant la 2ème chambre civile.
Sur l’obligation de sécurité de résultat
Indépendamment de l’imputabilité professionnelle et de l’incidence d’une prise en charge sur le taux de cotisation, d’autres obligations juridiques pourraient permettre de retenir la responsabilité de l’employeur, confronté à une telle situation.
L’obligation de prévention de l’employeur
Il sera rappelé que si la loi restreint l’introduction et la consommation d’alcool sur le lieu de travail au vin, bière, cidre et poiré (article R. 4228-20 du Code du travail), l’employeur peut interdire l’introduction et la consommation de tout alcool au sein de l’entreprise.
L’organisation d’évènements festifs au sein de l’entreprise (et par l’employeur) n’est nullement prohibée, en précisant que c’est bien de la responsabilité de l’employeur de s’assurer de la nature des boissons mises à disposition.
Au-delà de la limitation, c’est également l’état d’ébriété qu’il convient de rappeler dans l’arrêt commenté, ignorant la boisson incriminée. En effet, dans l’arrêt de novembre 2023, l’élément déterminant retenu est que le fait de conduire en état d’ébriété était un choix de l’agent.
La question aurait pu se poser autrement, en se demandant qu’elle était l’alternative qui lui était laissé, une fois la soirée terminée, pour rentrer à son domicile.
Sur ce point, l’obligation de sécurité de résultat opposable à l’employeur constatant un état incompatible avec la conduite, devrait lui imposer d’organiser le rapatriement de ses salariés, ou a minima le covoiturage pour s’assurer de l’intégrité physique de ses équipes. Un tel manquement serait indemnisable qu’il s’agisse d’un accident imputable au travail (a fortiori dans le cadre d’une faute inexcusable) ou non (en cas de refus de prise en charge).
Le règlement intérieur pourrait aider l’employeur dans cette démarche de prévention, avec la possibilité d’un dépistage sous forme d’éthylotest. Dans le contexte d’un évènement festif, il est acquis que la finalité ne sera pas la répression, mais bien l’organisation de la prévention. Dans cette hypothèse et malgré les mesures mises en place par l’employeur, si le salarié devait maintenir sa volonté de rentrer par ses seuls moyens, nous pourrions y voir une cause d’exonération à l’obligation de sécurité de résultat, voire une exclusion de l’imputabilité professionnelle.
La faute de la victime
Dans son arrêt du 23 novembre, le Conseil d’Etat, en retenant une faute détachable du service, a clairement fait supporter la responsabilité de la consommation excessive d’alcool à l’agent. Pour la 2ème chambre civile, la seule cause d’exonération autorisée est à la charge de l’employeur lequel doit rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère à la survenance du sinistre.
Or, dans le cadre d’un évènement qu’il organise et lors duquel l’employeur manque à son obligation de prévention, prétendre à la faute de la victime à la fois pour contester l’imputabilité professionnelle, mais également une faute inexcusable serait à notre sens vain.
La consommation d’alcool, dans les limites indiquées, ne peut être considérée comme fautive, quand bien même elle aboutirait à un état d’ébriété, sous réserve de l’information préalable de l’employeur voire de sa capacité à contrôler, individuellement, le comportement de chacun des salariés.
Dès lors que l’employeur organise l’évènement à l’origine duquel la consommation d’alcool se produit, la faute de la victime pouvant être retenue quant à une consommation excessive, ne serait pas qualifiée de faute exclusive au vu des obligations précédemment rappelées et opposables à l’employeur.
La position du Conseil d’Etat nous apparait sévère, mais la perméabilité de certaines problématiques, dépassant la séparation des ordres juridictionnels pourrait poser la question d’une exigence d’uniformité. Sur ce point et rappelant que les textes légaux diffèrent dans leur définition et causes d’exclusion, il est à craindre qu’un employeur de droit privé ne puisse profiter du raisonnement porté par le Conseil d’Etat.
Risque hygiène sécurité
Présomption d'imputabilité et malaise vagal
Dans cette affaire, un salarié a été victime d’un malaise vagal, survenu au cours d’un entretien se déroulant dans des conditions normales avec le RH.
Pour débouter un salarié de sa demande, un arrêt de la cour d’appel de Versailles a énoncé que « pour qu’une présomption d’imputabilité au travail d’un accident trouve à s’appliquer, il convient que la victime démontre la matérialité d’un fait soudain survenu au temps et au lieu de travail. Il retient que si les circonstances de temps et de lieu invoquées par la victime se situent sur le lieu de travail de l’intéressée, celle-ci n’apporte aucun élément, en dehors de ses propres déclarations, qu’un événement brusque et soudain serait survenu lors d’un entretien dans le bureau de la responsable des ressources humaines, le questionnaire rempli par l’employeur décrivant un entretien se déroulant dans des conditions normales. Il ajoute que le compte-rendu du service des urgences conclut à un malaise vagal sans signe de gravité, et que si le certificat médical initial fait état d’un malaise vagal avec chute, cette indication de chute est en contradiction avec les constatations du service des urgences qui a noté que la victime s’était allongée et que son état s’était amélioré. Il en déduit que la victime ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un fait soudain survenu au temps et au lieu de travail et dont il est résulté une lésion, le léger malaise dont elle a été victime le 9 octobre 2018, sans perte de connaissance et alors qu’elle faisait l’objet d’un traitement médical, en raison de son état dépressif, ne pouvant répondre à cette définition. »
La Cour de cassation a cassé cet arrêt en maintenant sa position désormais constante : « le malaise de la victime était survenu aux temps et au lieu de travail, ce dont il résultait que l’accident litigieux était présumé revêtir un caractère professionnel ».
Ainsi, l’absence de gravité de la lésion et l’absence de conditions anormales de l’entretien n’empêche pas d’appliquer la présomption d’imputabilité.
Civ., 2ème, 19 octobre 2023 n° 22-13.275
Faute inexcusable de droit
Dans cette affaire, un chauffeur livreur salarié a été victime, le 10 novembre 2016, d’un accident de la circulation avec un véhicule de son employeur, pris en charge au titre de la législation profes- sionnelle par une caisse primaire d’assurance-maladie. Le salarié a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
La Cour d’appel retient une faute inexcusable de droit à l’égard d’un employeur au motif que le salarié a eu un accident de la route, après lui avoir signalé son état de fatigue.
Pour soutenir la faute inexcusable de droit, le salarié précisait avoir informé son l’employeur de son état de fatigue important lié à l’absence de repos durant la nuit, et ce, par la production d’une ordonnance des urgences pédiatriques de la veille pour son enfant, et des attestations de deux collègues. Le tout corroboré par une attestation produite par l’employeur lui-même.
La Cour de cassation valide la position de la Cour d’appel en indiquant qu’il n’y avait pas lieu de rechercher si le salarié avait sollicité ou exercé son droit de retrait, mais aussi que le lien était établi entre la fatigue signalée et les fautes de conduite de la victime à l’origine de l’accident.
Le pourvoi de l’employeur est ainsi rejeté et la faute inexcusable de droit reconnue. Civ., 2ème, 16 novembre 2023, n° 22-10.357
Faute inexcusable de l’employeur dans le cas d’une collision entre deux hélicoptères en formation rapprochée
Dans cette affaire, deux hélicoptères qui volaient en formation rapprochée sont entrés en collision entraînant le décès d’un salarié.
La Cour de cassation retient la faute inexcusable de l’employeur dès lors qu’il a pris la décision d’organiser le vol des deux hélicoptères qui correspond à un scénario défini par l’employeur qui souhaitait réaliser des prises de vues de ce vol dans le cadre du tournage d’une émission de télévision.
Pour les magistrats, le vol en formation rapprochée ainsi que le transport de passagers représentaient un risque que l’employeur a choisi de prendre et qui se trouve à l’origine direct et certaine de la collision entre les appareils.
Pour la Cour de cassation, l’employeur pouvait prendre des mesures pour préserver les passagers de l’accident en excluant la possibilité d’un vol en formation rapprochée des hélicoptères ou en modifiant les trajectoires de vol.
En l’absence de vol d’essai sans passagers, de vérification de l’existence d’un moyen de communication entre les aéronefs ou de mention d’un risque de collision dans le plan de sécurité et de sûreté
l’employeur n’a pas pris les précautions qui s’imposaient.
Ainsi, l’employeur, qui avait ou aurait dû avoir conscience du danger résultant pour son salarié du vol en formation rapprochée de l’hélicoptère dont il était passager et qui n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, a commis une faute inexcusable.
Civ., 2ème, 16 novembre 2023, 21-20.740
Indemnisation des souffrances physiques et morales
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer à la suite du revirement opéré par l’assemblée plénière qui décide que la rente ou l’indemnité versée en capital au salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
En l’espèce, les juges du fond avaient indemnisé à hauteur de 19.000 euros le préjudice relatif aux souffrances endurées post-consolidation. Pour fixer ce montant les juges retiennent « l’existence d’un préjudice spécifique lié à l’anxiété permanente face au risque à tout moment de dégradation de l’état de santé et de développement de maladies plus graves, ravivée à chacun des contrôles que le salarié subit régulièrement et aggravée par le facteur d’inquiétude lié au fait d’avoir vu un collègue de travail décéder des suites d’un cancer broncho-pulmonaire ».
Les juges tiennent compte de l’âge de la victime au moment du diagnostic de sa maladie, à savoir 53 ans, de la durée d’exposition de 28 ans, de la nature des lésions ainsi que le taux d’incapacité fixé à 5 %.
Civ., 2ème, 16 novembre 2023, n°21-13489
Risque contentieux social
Abus du droit de positionner librement les heures de délégations
La Cour de cassation a estimé qu’un abus du droit de positionner librement les heures de délégations était caractérisé par le fait pour un salarié élu de positionner systématiquement et sans justification ses heures de délégations en dehors de son temps de travail habituel, de façon à interrompre le repos quotidien de 11 heures.
En l’espèce, l’employeur reprochait au salarié de positionner ses vingt heures de délégation par un
« fractionnement lui permettant d’être dispensé d’un nombre conséquent d’heures de service ».
Les juges relèvent que le salarié travaillait habituellement de 18h15 à 1h30. Il avait fractionné ses heures de délégations par tranches de 30 minutes sur les plages horaires entre 5h et 7h puis entre 14h et 16h, en dehors de ses horaires de travail. Le positionnement de ses heures de délégations avait donc pour conséquence d’interrompre son repos quotidien, de sorte que l’employeur était contraint de le placer en autorisation d’absence rémunérée et de différer sa prise de service.
Les juges relèvent également que le salarié n’avait pas répondu à son employeur sur les activités exercées pendant ses heures de délégation, ni sur la nécessité de positionner les heures de cette façon.
L’employeur était donc fondé à agir sur le terrain de l’abus de droit. Soc., 28 novembre 2023, n° 22-19658
Refus de CDI après un CDD : que dit la loi ?
La Loi dite « Marché du travail » de décembre 2022, avait instauré l’obligation pour les employeurs d’informer Pôle emploi lorsqu’un salarié refuse un CDI à l’issue d’un CDD.
Deux nouveaux articles ont été insérés dans le Code du travail prévoyant que lorsque l’employeur propose que la relation contractuelle de travail se poursuive après l’échéance du terme du CDD sous la forme d’un CDI pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, assorti d’une rémunération au moins équivalente pour une durée de travail équivalente, relevant de la même classification et sans changement du lieu de travail, il notifie cette proposition par écrit au salarié. En cas de refus du salarié, l’employeur en informe Pôle emploi (devenu France Travail) en justifiant du caractère similaire de l’emploi proposé.
Les mêmes règles s’appliquent, pour le contrat de mission, à ceci près que l’obligation d’information incombe à l’entreprise utilisatrice et que les CDI concernés sont tous ceux proposés pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, sans changement du lieu de travail. Il n’est pas exigé que le CDI comporte une rémunération et une durée de travail équivalentes ni la même classification.
Un décret publié le 28 décembre 2023 détaille la nouvelle procédure en vigueur au 1er janvier 2024. Il précise que l’information doit être donnée par voie dématérialisée, sur une plateforme dédiée l’employeur dispose d’un délai d’un mois pour informer France Travail.
L’employeur précise :
- le descriptif de l’emploi proposé ;
- les éléments permettant de justifier dans quelle mesure :
pour le salarié sous CDD : l’emploi proposé est identique ou similaire à celui occupé ; la rémunération proposée est au moins équivalente ; la durée de travail proposée est équivalente ; la classification de l’emploi proposé et le lieu de travail sont identiques.
pour le salarié en contrat de mission : l’emploi proposé est identique ou similaire à celui de la mission effectuée ; le lieu de travail est identique.
Cette information est également accompagnée de la mention du délai laissé au salarié pour se prononcer et, le cas échéant, de la date du refus exprès de ce dernier.
A réception des informations, France Travail dispose d’un délai de 15 jours pour solliciter des informations complémentaires.
L’article L. 5422-1 du Code du travail prévoit qu’un salarié qui refuserait à deux reprises au cours des douze mois précédents, une proposition de CDI ne pourra pas bénéficier de l’allocation d’assurance chômage, sauf à justifier sur la même période d’avoir été employé dans le cadre d’un CDI.
Trajet domicile – travail d’un salarié itinérant : s’agit-il d’un temps de travail effectif ?
Dans le cadre de la contestation de sa convention de forfait en jours, un salarié sollicitait différentes sommes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents. Le demandeur était salarié itinérant. Pour soutenir sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires il prenait en compte le temps de trajet entre son domicile et les premier et dernier clients. Il estimait en effet que ce temps devait être assimilé à du temps de travail effectif pour plusieurs raisons :
Son véhicule était équipé d’un système de géolocalisation L’employeur contrôlait ses plannings.
Il devait soumettre à l’approbation de son supérieur la réalisation d’heures supplémentaires, tout décalage, anticipation ou annulation d’un contrôle
En défense, l’employeur soutenait que le salarié jouissait d’une liberté d’organisation de ses journées dès lors qu’il déterminait le choix de son itinéraire, l’ordre et l’heure de ses interventions.
La Cour de cassation confirmant l’analyse de la cour d’appel estime que le contrôle quant au respect des plannings, à l’optimisation des temps de trajet et au respect de la note de service relative aux soirées étapes ne suffisait pas à établir que le salarié se tenait à la disposition de l’employeur durant ses premiers et derniers trajets de la journée, dès lors qu’il prenait l’initiative de son circuit quotidien.
Les juges retiennent également que les contrôles de l’employeur étaient justifiés par la mise en place d’un dispositif d’indemnisation des trajets anormaux.
Enfin, les juges relèvent que le salarié disposait d’un interrupteur « vie privée » qui lui permettait de désactiver la géolocalisation.
Soc., 25 octobre 2023, n° 20-22800.
Temps de travail : la charge de la preuve incombe à l’entreprise utilisatrice
De manière constante, la jurisprudence estime que la preuve du respect des durées maximales de travail incombe à l’employeur.
La Cour de cassation devait trancher la question de savoir qui, de l’employeur juridique ou de l’entreprise utilisatrice, devait supporter la charge de la preuve du respect du temps de travail.
Dans cette affaire, un travailleur intérimaire avait saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes réclamant notamment à l’entreprise utilisatrice des dommages-intérêts pour violation des durées maximales quotidiennes de travail. La cour d’appel l’avait débouté au motif qu’il ne précisait ni les dates ni même les périodes de dépassement et produisait uniquement aux débats des attestations de collègues. En outre, ces éléments n’étaient corroborés par aucune pièce, ce qui ne permettait donc pas de retenir la responsabilité de l’entreprise utilisatrice.
La Cour de cassation casse l’arrêt déféré.
Au visa de l’article L.1251-21 du travail qui dispose que l’entreprise utilisatrice est responsable des conditions d’exécution du travail, la Cour de cassation considère que la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l’entreprise utilisatrice.
Soc., 25 octobre 2023, nº 21-21946.
Droit de la preuve : admission des preuves déloyales présentées au cours d’un contentieux prud’homal
Par un arrêt du 22 décembre 2023, rendu par la Cour de cassation en formation plénière, il apparaît que la production de preuves déloyales semble désormais admise.
En l’espèce, un salarié embauché en qualité de responsable de production « grand compte » a été licencié pour faute grave. L’employeur a saisi la juridiction prud’homale aux fins notamment de condamnation du salarié au paiement de dommages et intérêts pour non-exécution du préavis et en réparation d’un préjudice commercial. Le salarié a quant à lui contesté la mesure de licencie- ment prononcée et sollicité la condamnation de l’employeur au paiement de diverses indemnités.
L’employeur a fait grief à l’arrêt de déclarer les éléments de preuve obtenus au moyen d’enregistrements clandestins et d’écarter en conséquence ses pièces numérotées 7.3, 7.3b, 7.5 et 7.5b, de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement de dommages et intérêts.
D’une part et au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 9 du code de procédure civile et suivant les principes dégagés par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation admet, qu’en matière civile, le droit à la preuve permet de déclarer recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et lorsque l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi.
D’autre part et toujours sur le fondement des mêmes textes et du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Cour de cassation juge qu’est irrecevable la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par « une manœuvre ou un stratagème ». Toutefois, la Cour considère que cette jurisprudence peut conduire à priver l’une des parties de tout moyen de faire la preuve de ses droits.
Au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que lorsque le droit à la preuve entre en conflit avec d’autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance droits et en intérêts en présence.
Ainsi, la Cour a retenu que « Il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »
En conséquence, la Cour casse et annule l’arrêt déféré en ce qu’il « déclare irrecevables les éléments de preuve obtenus par l’employeur au moyen d’enregistrements clandestins et écarte en conséquence les pièces numérotées 7.3, 7.3b, 7.5 et 7.5b, produites par celui-ci (…).
Soc., 22 décembre 2023, n°20-20.648 et n°21-11.330
Interdiction de convoquer à un entretien individuel pendant le congé maternité même si la date de convocation est fixée au retour de la salariée
Dans cette affaire, une salariée a été engagée en qualité de chef de projet interne à compter du 7 octobre 2013. Elle exerçait en dernier lieu les fonctions de responsable marketing.
Du 8 septembre 2017 au 24 janvier 2018, le contrat de la salariée a été suspendu en raison de son congé maternité et de ses congés payés : la reprise effective de son travail étant fixée le au 25 janvier 2018.
Or, par lettre du 16 janvier 2018, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 10 avril 2018.
La Cour d’Appel de Paris, dans son arrêt du 3 mars 2022 déboute la salariée de ses demandes de nullité de licenciement pour motif économique et de réintégration ainsi que de ses demandes afférentes à la rupture.
La Cour relevait en l’espèce que la période de protection prenait fin le 6 avril 2018 et que les délégués du personnel avaient été régulièrement consultés sur le projet de licenciement et surtout, que l’employeur n’avait accompli aucun acte préparatoire au licenciement pendant la période de protection.
Pour la Cour de cassation, l’employeur ne peut engager la procédure de licenciement pendant la période de protection, notamment en envoyant la lettre de convocation à un entretien préalable, un tel envoi constituant une mesure préparatoire au licenciement, peu important que l’entretien ait lieu à l’issue de cette période.
Ainsi, la convocation a un entretien préalable à un éventuel licenciement pendant un congé maternité est une mesure préparatoire prohibée : le licenciement intervenu par la suite doit alors être considéré comme nulle.
Soc., 29 novembre 2023, n°22-15.794
Compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale en cas de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dû à un dépassement de la durée moyenne hebdomadaire de travail
Dans cette affaire, un salarié a été engagé en qualité d’ouvrier agricole. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Après avoir saisi une juridiction de sécurité sociale d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de dommages-intérêts pour manquement par l’employeur à son obligation de sécurité.
La Cour de cassation réaffirme la compétence exclusive de la juridiction de sécurité sociale en matière de maladie professionnelle.
Ainsi, le Conseil de Prud’hommes n’est pas compétent même lorsque le salarié invoque à l’appui de sa demande de réparation de la maladie professionnelle, un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité dû à un dépassement de la durée moyenne hebdomadaire de travail.
Soc., 15 novembre 2023, 22-18.848
Risque pénal
Concours d’infractions pénales en matière d’accident du travail
Dans cette affaire, trois salariés avaient été blessés alors qu’ils travaillent sur une armoire électrique qui n’avait pas été mise hors tension. La société avait été poursuivie des chefs de délits et contravention de blessures involontaires, commis dans le cadre du travail, par maladresse, imprudence, inattention, négligence, manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en l’espèce en omettant de respecter ses obligations relatives à l’évaluation des risques en matière d’installations électriques.
La Cour d’appel qui avait reconnu la culpabilité de la société avait prononcé deux amendes en lien avec la survenance d’un accident du travail : 20.000 euros pour délit de blessures involontaires et 1.000 euros pour contravention de blessures involontaires.
La chambre criminelle de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel considérant que les deux infractions procédaient d’une même action coupable et ne pouvaient donc être punies séparément.
Crim., 12 septembre 2023, n°22-86894.
Co-responsabilité de l’entreprise d’accueil et de l’entreprise extérieure dans la mise en place d’un protocole de sécurité
Lors d’une opération de chargement de big-bags d’une société cliente, dans un poids lourd, l’un d’eux a heurté le chauffeur de la société de transport, entraînant sa chute et une fracture de ses deux poignets.
Les deux sociétés ont été condamnées pour réalisation d’opération de chargement sans respect des règles relatives au protocole de sécurité.
La Cour de cassation juge que tant l’entreprise cliente que la société de transport peut être poursuivie en tant que co-auteur du délit, en raison de l’absence ou d’insuffisance du protocole de sécurité.
Le rapporteur précise que la chambre criminelle adopte une posture pragmatique s’appuyant sur les constatations des juges du fond quant à la matérialité des faits sans que d’éventuelles stipulations contractuelles puissent dégager chacun d’entre eux de sa responsabilité au regard des dispositions impératives du code du travail en matière de santé et sécurité des salariés.
En l’espèce, la Cour de cassation relève que le chauffeur de l’entreprise de transport avait l’habitude d’aider ou guider les opérations de chargements, de sorte que la mise en œuvre préalable d’un protocole de sécurité s’imposait.
Crim., 12 décembre 2023, n° 22-84854.
Risque environnemental
L’indemnisation du préjudice moral tiré de l’exploitation d’une installation classée non conforme à une mise en demeure
Dans cette affaire, une société était poursuivie devant le tribunal correctionnel des chefs de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et d’exploitation d’une installation classée non conforme à une mise en demeure.
L’affaire s’est présentée devant la Cour de cassation sur pourvoi des associations de protection de l’environnement qui faisaient grief à la cour d’appel d’avoir déclaré la société coupable d’exploitation d’une installation classée non conforme à une mise en demeure, mais de les débouter de leurs demandes indemnitaires. La cour d’appel estimait que la relaxe prononcée sur les faits de pollution caractérisait l’absence de dommage.
Après avoir rappelé le droit pour les associations de protection de l’environnement agréées ou déclarées d’obtenir réparation du préjudice moral causé par l’atteinte à l’environnement, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel.
La Haute, juridiction juge que « la seule violation de la réglementation applicable, telle qu’elle résulte de la déclaration de culpabilité du chef d’exploitation d’une installation classée non conforme à une mise en demeure, est de nature à causer aux associations concernées un préjudice moral indemnisable ».
Crim., 28 novembre 2023, n° 22-86.567