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Édito
Le contentieux de l’optimisation du taux de cotisation AT/MP est régi par la jurisprudence
Sur la notion de taux opposable et l’indépendance des parties
Sur l’insécurité pour l’employeur
Risque hygiène sécurité
Tarification AT/MP : quelles obligations en cas de transfert d’entreprise ?
Prescription biennale en matière de faute inexcusable : l’action prud’homale est-elle interruptive ?
Sur la présomption de faute inexcusable des salariés intérimaires affectés à des postes à risque
Sur la preuve de l’impossibilité de la Caisse de recueillir l’avis du médecin du travail
Risque de chute au sol : reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
Risque contentieux social
Mise à jour du règlement intérieur au 1er septembre 2022
Enquête pour harcèlement moral et respect du contradictoire
Travail exceptionnel en arrêt maladie : quelle est la position de la Cour de cassation ?
Droit à la preuve dans le cadre d’un contentieux prud’homal
Demande de résiliation judiciaire dans un contexte de harcèlement moral
Harcèlement moral : méthodes managériales validées par la hiérarchie
La défenseure des droits alerte sur l’inégalité entre salarié et employeur en matière de discrimination
Quelle obligation de reclassement du salarié inapte lorsque l’entreprise recourt à l’intérim ?
Suspension du règlement intérieur pour défaut de consultation du CSE
L'autorité de la chose jugée au pénal devant les juridictions prud’homales s’étend au mode de preuve
Risque pénal
Travail dissimulé chez un sous-traitant : quels recours pour le donneur d’ordre en cas de condamnation solidaire ?
Modification de l’ordre du jour du CSE central en début de réunion : l’unanimité est requise
Risque environnemental
Mise en demeure des exploitants d’une ICPE : compétence liée du préfet
Recours possible contre la preuve du dépôt d’une déclaration d’une ICPE
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Édito
C’est un plaisir de vous compter de plus en plus nombreux lors de nos webinaires et de lire vos retours sur nos diverses publications.
L’activité du cabinet et notre expertise nous amènent à attirer votre vigilance sur l’évolution des risques juridiques et judiciaires que rencontrent les entreprises.
A cet égard et parmi nos dernières interventions, nous avons pu évoquer les problématiques de défense contentieuse en matière de harcèlement moral, et la nécessité d’une stratégie transverse alliant droit de la sécurité sociale et droit du travail.
La reconnaissance préalable d’une maladie professionnelle peut venir étayer les accusations de harcèlement moral. Ainsi se posera la question du taux d’incapacité minimum pouvant justifier de la saisine du CRRMP.
C’est sur l’appréciation de ce taux et sa composante socio-professionnelle que nous avons consacré notre Une.
La Cour de cassation continue son œuvre prétorienne en défaveur des intérêts des entreprises. Ainsi et permettant à la CPAM de modifier l’objet du litige, elle vient réduire les droits de la défense de l’employeur ayant une incidence tant sur son taux de cotisation que potentiellement, sur le seuil de saisine dudit comité.
La vigilance doit être aussi forte que la conviction à défendre les intérêts des employeurs. Telles sont nos exigences.
Vous retrouverez également notre veille jurisprudentielle sur les domaines d’intervention du cabinet.
Bonne lecture !
Valéry ABDOU
Le contentieux de l’optimisation du taux de cotisation AT/MP est régi par la jurisprudence
En effet le caractère substantiel des enjeux financiers encourage les employeurs dans leurs actions judiciaires. De celles-ci, les définitions légales et règlementaires sont précisées et ce, qu’elles portent sur la procédure d’instruction ou la présomption d’imputabilité.
L’opportunisme juridique dont ont fait preuve les employeurs quant aux erreurs de procédure de la CPAM, a participé à générer un contentieux de masse. Ces actions ne sont pas toujours perçues par les juridictions comme une volonté des entreprises de maitriser, dans le cadre d’un débat judiciaire et contradictoire, les enjeux à la fois juridiques et matérielles des éléments postulant à la prise en charge. Ainsi certaines juridictions, dans le cadre de leur appréciation souveraine, n’hésitent pas à faire preuve de sévérité, considérant qu’un contentieux en optimisation, participant à la surcharge de l’activité judiciaire, présenterait un intérêt juridique limité.
Dans son arrêt du 22 septembre 2022 (n°21-13232), la 2ème chambre civile nous démontre à nouveau la sévérité de son raisonnement et laisse entrouvrir des problématiques pouvant questionner sur l’opportunité même d’un recours employeur quant à la contestation d’un taux d’incapacité permanente.
• Le contentieux initial portait sur la contestation par un employeur des modalités d’attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) à l’un de ses salariés, suite à la prise en charge d’une maladie professionnelle. En l’espèce le taux initial était de 10%, correspondant à la 2ème catégorie des incapacités permanentes, ouvrant droit au salarié au versement d’une rente et à l’imputation pour l’employeur du capital représentatif de celle-ci. Il est utile de préciser que le contentieux ne portait que sur le taux médical puisqu’au moment de la consolidation, seules les séquelles physiques/psychiques avaient été analysées par le médecin conseil.
Initiant donc un contentieux d’opportunité financière pour certains, ou de débat médical contradictoire pour d’autres, l’employeur a saisi le tribunal du contentieux de l’incapacité. Ce dernier a statué en sa faveur et a réduit le taux opposable à 7%. L’incidence de ces quelques points est importante, puisqu’il revenait à la CPAM d’assurer le financement de la différence entre la rente perçue par le salarié et le capital recouvré à l’égard de l’employeur dès lors que le taux de cotisation de l’employeur serait réduit.
De cet enjeu financier, la CPAM a interjeté appel devant la Cour Nationale de l’Incapacité de la Tarification et des Accidents du Travail (CNITAAT). Dans le cadre de ses conclusions, la CPAM a fait valoir qu’elle souhaitait rajouter au taux initial un taux relatif à la part socio-professionnelle, soit 3%, revenant ainsi à 10%, soit au-dessus du seuil susmentionné, correspondant au taux initial.
D’un appel sur le quantum médical, la 2ème chambre civile, qui ne pouvait statuer sur une donnée médicale, a finalement eu à se prononcer sur la recevabilité d’une majoration d’un taux d’incapacité, en cours de procédure, et ce sur une donnée socio-professionnelle.
Dans son arrêt du 22 septembre, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’employeur et valide le raisonnement de la CNITAAT en considérant que la Cour peut « s’écarter de l’avis du médecin conseil en sollicitant la reconnaissance d’un taux professionnel ». Ainsi l’arrêt est confirmé, le taux maintenu à 10%, soit le même niveau que le taux initial, avec les incidences financières que cela comporte.
La motivation de la Haute juridiction est fondée sur la capacité d’une partie, en l’occurrence la CPAM à modifier l’objet du litige au motif qu’elle ne serait pas liée par l’avis de son médecin conseil. A notre sens un tel pouvoir reconnu à la CPAM pose de réelles difficultés puisqu’indépendamment de la donnée procédurale, elle remet en cause la notion même de taux opposable à l’employeur, justifiant de notre part un rappel en la matière et une vigilance accrue.
Sur la notion de taux opposable et l’indépendance des parties
• Le droit de la sécurité sociale, en matière d’AT/MP, fait intervenir le salarié (l’assuré), la CPAM (l’organisme) et l’employeur (que certains entendent limiter au rôle de payeur). Ce rapport tripartite est complexe et la notion d’opposabilité est attachée aux effets juridiques d’une décision de l’organisme que ce soit à l’égard du salarié ou de l’employeur. Ainsi une décision de refus de prise en charge, hors motif administratif, contestée par le salarié, restera définitive pour l’employeur dans la mesure où elle correspond à « la décision initiale » portée à sa connaissance. Il est en de même en matière de contestation d’un taux d’incapacité, que ce soit à la hausse ou à la baisse, le taux initialement notifié à l’autre partie lui restera acquise.
Ce principe d’indépendance, même en cas de recours judiciaire avec mise en cause de l’employeur, a été réaffirmé par la Cour dans son arrêt du 7 novembre 2019 (n°18-19764) qui précise que « la notification à l’employeur de la décision de refus de la caisse « revêt un caractère définitif à son égard, de sorte que la mise en cause de ce dernier dans l’instance engagée contre la même décision par la victime ou ses ayants droit, est sans incidence sur les rapports entre l’organisme social et l’intéressé ».
La notion de notification aux parties matérialise l’indépendance des rapports, mais également le caractère définitif des effets juridiques associés à la décision en cause.
Lorsqu’un employeur conteste un taux d’incapacité, il est acquis que la première finalité est financière, mais il serait réducteur de la limiter à la seule incidence sur le taux de cotisation. En effet, il sera rappelé qu’un employeur reste recevable à agir alors même que le sinistre et donc le taux d’IPP, serait imputé au compte spécial dès lors qu’en cas d’action en faute inexcusable, seul le taux opposable initialement ou à l’issue d’un recours lui serait opposable. L’opportunité financière peut donc être liée au taux de cotisation ou à l’assiette de l’action récursoire de la CPAM si la faute inexcusable devait être retenue.
L’article L.434-2 du code de sécurité sociale dispose en son premier aliéna que « le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité ». Le taux d’incapacité a donc deux composantes, la première quant aux séquelles de l’accident ou de la maladie, la seconde sur l’incidence professionnelle desdites séquelles et notamment l’inaptitude pour le salarié à exercer sa profession.
Sur ce dernier point, l’article R434-31 dudit Code impose à la Caisse de recueillir l’avis du médecin du travail pour apprécier l’aptitude du salarié.
Une fois les informations en sa possession et conformément à l’article R434-32, la décision attributive du taux est « immédiatement » notifiée aux parties. La référence chronologique est utile dans la mesure où elle participe à l’idée que le taux notifié est définitif notamment l’égard de l’employeur, à charge pour lui le cas échéant de le contester, mais uniquement sur la base des éléments ayant permis à sa fixation. L’immédiateté induit une certaine concomitance entre l’analyse médicale et le renseignement pris par la CPAM auprès du médecin du travail.
Ainsi et dans l’arrêt commenté, c’est bien un taux de 10%, uniquement attribué au titre des séquelles médicales qui avait fait l’objet d’une contestation. A date de notification, aucune autre composante socio-professionnelle n’avait été attribuée par la CPAM.
• En première instance l’employeur a obtenu gain de cause quant à la réduction de ce taux à hauteur de 7%.
L’appel interjeté par la CPAM aurait pu se limiter à une discussion du barème et de l’appréciation médicale afférente. Ce serait omettre la capacité d’innovation de l’organisme visant à compenser les erreurs d’appréciation de son service médical. En effet et alors même que l’objet du litige portait sur le taux médical, la CPAM a, en cours de procédure et pour la première fois en cause d’appel, décidé de majorer le taux d’une part afférente au taux socio professionnel.
Une telle majoration nous interpelle à plusieurs titres.
En premier lieu, il sera rappelé l’article 4 du code de procédure civile, lequel dispose que l’objet du litige est déterminé « par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense ». De cet article, nous distinguons l’objet principal, de l’accessoire, défini au second alinéa, permettant aux parties de faire « des demandes incidences lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ».
L’objet du litige, initié par l’employeur, était sans la moindre ambiguïté, les modalités d’application d’un taux médical, dès lors que le taux notifié ne faisait référence qu’à cette donnée.
Le caractère définitif de la notification aurait dû, de façon autonome, exclure toute possibilité pour la CPAM d’en modifier la composition.
Mais plus certainement nous considérons que le taux socio-professionnel ne saurait être l’accessoire du taux médical. S’il peut l’être lorsque la notification initiale intègre ces deux composantes, cela est à distinguer de l’espèce commentée.
En effet, il sera rappelé que le second alinéa de l’article 4 susvisé évoque le lien entre les prétentions originaires et l’objet principal du litige, exigeant que les demandes incidences présentent un lien « suffisant ». Or en l’espèce, la prétention originaire de la CPAM visait uniquement à la confirmation du taux médical de 10%, dès lors qu’en première instance aucune autre composante ne venait l’agrémenter. D’autre part les modalités d’appréciation diffèrent en ce sens que le taux médical est de la seule compétence du service médical, alors que le taux socio-professionnel est conditionné par une sollicitation du médecin du travail. Enfin et surtout, il est relevé que le taux socio-professionnel opposé à l’employeur n’a même pas été attribué dans les faits au salarié.
Par cet arrêt, la Cour de cassation autorise la CPAM, dans la limite du taux initialement attribué, à revoir et même à créer une composante au titre du taux médical. La limite impartie par le taux initialement fixé ne saurait être le lot de consolation de l’employeur dès lors qu’un tel raisonnement participe à une insécurité tant juridique que judiciaire pour ce dernier.
Sur l’insécurité pour l’employeur
• Nous considérons que l’argument de la CPAM, visant à majorer, en cause d’appel, le taux médical par une composante socio-professionnelle, inexistante lors de la notification, aurait dû être assimilé à une demande nouvelle et à ce titre déclarée irrecevable.
En effet, là où la 2ème chambre civile évoque « une majoration », nous préférons la notion de « création », puisqu’aucun taux socio-professionnel n’était initialement attribué.
La possibilité pour la CPAM de créer un tel taux participe à une inégalité des armes impactant nécessairement le débat judiciaire. En effet, si dès la phase de notification il y avait une ventilation du taux selon ces deux composantes, l’appréciation du quantum n’aurait à notre sens pas posé de difficulté. L’attribution distincte du taux initial participe à modifier à l’égard de l’employeur la décision initiale notifiée.
En outre la possibilité pour la CPAM d’opposer un taux, qui n’est pas attribué au salarié lui-même, porte atteinte au principe d’indépendance. Ce dernier ne saurait être garanti au seul motif que la limite du pouvoir de la CPAM serait le quantum du taux initial.
A ce titre l’employeur aurait été bien inspiré d’aviser son salarié de sa possibilité de faire réviser son taux, au bénéfice d’un certificat médical d’aggravation, pour demander à la CPAM de le majorer du taux socio-professionnel qu’il s’était vu opposer devant la CNITAAT, même si la question de la prescription lui aurait été nécessairement opposée.
Dans cette espèce, il y a donc un taux de 10% médical attribué au salarié et un taux de 7% médical majoré de 3% socio-professionnel à l’égard de l’employeur. L’indépendance rappelée ne peut justifier une telle ventilation.
Il est nécessaire de rappeler que le taux socio-professionnel est appliqué en l’absence de tout barème d’une part et que la notion d’inaptitude reste sujette à discussion. Dans l’arrêt commenté, la CPAM a fixé le taux à 3%, permettant d’avoir un global au-dessus du seuil de 9%, au motif que le salarié a été licencié postérieurement à sa consolidation. En l’occurrence, la rupture du contrat est intervenue « dans les jours suivant la consolidation ». Rappelant qu’il incombe à la CPAM de notifier « immédiatement » sa décision attributive de taux, il lui appartenait, après l’examen du service médical d’interroger le salarié sur sa situation professionnelle antérieurement à l’envoi du taux. Adopter un raisonnement contraire, comme l’autorise la Cour, reviendrait à la CPAM la possibilité de modifier un taux bien au-delà de l’immédiateté requise puisqu’il sera rappelé que l’ajout s’est fait en cause d’appel, induisant plusieurs mois, voire année de contentieux.
• La charge de la preuve du taux socio-professionnel incombe à la CPAM et l’absence d’information à ce sujet doit concourir à l’inopposabilité de cette composante. Toutefois, la transmission d’une justification de sollicitation de médecine du travail (article R434-31 susvisé), conjuguée à l’absence de barème place l’employeur dans l’expectative de l’appréciation du quantum correspondant.
D’un point de vue procédural, il sera relevé que l’appréciation du taux socio-professionnel n’a nullement fait l’objet d’un débat judiciaire permettant le cas échéant un recours, dès lors que la problématique a été posée pour la première fois en cause d’appel. Ainsi l’absence de second degré de juridiction quant à l’appréciation de ce taux participe à nuire aux intérêts de l’employeur.
Plus certainement c’est la notion d’inaptitude qui doit être questionnée. En effet, prononcée par le médecin du travail, elle est une donnée médicale, dont l’incidence sur le contrat diffère selon son contenu. Ainsi il conviendra de distinguer une réelle impossibilité de reclassement prononcée par le médecin du travail, d’une rupture du contrat résultant du refus d’un poste de reclassement. Dans cette dernière hypothèse, c’est bien du fait du salarié que le contrat a été rompu, sans que le refus présente nécessairement un caractère abusif. Pour autant, un taux socio-professionnel pourra bénéficier au salarié dès lors que ce dernier n’est pas tenu d’accepter le poste de reclassement. Dans ce cas quel serait le taux attribué ?
En outre l’inaptitude professionnelle entraine le versement de l’indemnité spéciale de licenciement et compensatrice de préavis, justement en indemnisation de l’imputabilité professionnelle de ladite inaptitude. Ces indemnités prennent en compte la perte d’emploi et le taux socio-professionnel serait donc un doublon de ce poste de préjudice.
Le quantum du taux socio-professionnel devrait être encadré. Ainsi et à titre d’exemple, dans un arrêt du 11 février 2022 (n°21/02686), la 12ème chambre de la Cour d’appel de Paris a fixé un tel taux à 2%. Dans cette espèce, « le salarié âgé de 59 ans à la date de consolidation, exerçait la profession de chauffeur livreur. Il a été licencié pour inaptitude à tout emploi dans l’entreprise, son maintien dans un emploi étant qualifié de gravement préjudiciable à sa santé, selon les termes de l’avis d’inaptitude rendue. Au regard de l’absence d’autres qualifications et de la grande difficulté à retrouver un emploi compte tenu de son âge et du métier exercé, c’est à juste titre que le tribunal a retenu un coefficient socio professionnel de 2 % ».
Or l’attribution d’un tel taux dans l’arrêt commenté aurait permis une fixation globale à 9%, soit en-deçà du seuil de la 2ème catégorie d’incapacité permanente.
• L’illisibilité de l’attribution du taux socio-professionnel, associé à la possibilité pour la CPAM de le « majorer » en cours de procédure participe à l’insécurité de l’employeur. Plus certainement, la décision commentée participe à aggraver l’inégalité des armes quant au débat judiciaire entre la CPAM et l’employeur, autorisant la première à modifier ses prétentions, sans pour autant que dans les faits, ladite modifications ne profite à l’assuré.
Ainsi de l’indépendance des rapports, la CPAM instrumentalise une composante du taux d’incapacité, pour palier les carences du service médical.
Car l’écueil est bien celui-ci. De limiter la finalité du recours de l’employeur à une donnée financière ne résulte que du fait que du taux d’incapacité dépend les modalités de fixation du taux de cotisation. Si nous dépassons ce cadre, c’est bien la question du principe du contradictoire dans les rapports CPAM-employeur dont il est question.
Lorsque le médecin conseil attribue un taux d’incapacité, l’employeur ne dispose que d’un recours sur le rapport d’évaluation pour apprécier le bienfondé du taux imputé. Selon l’arrêt commenté, la CPAM a la possibilité d’y adjoindre, en cours de procédure une composante sociale, visant à compenser la réduction de la part médicale. Une telle possibilité contrevient à un procès équitable et plus généralement au principe du contradictoire au vu de l’opacité des conditions d’attribution du taux socio-professionnel.
En réponse à l’opportunisme financier des employeurs, nous relevons que dans une telle hypothèse et ne répercutant pas sa décision sur l’assuré, la CPAM ne supportera aucune conséquence financière des erreurs de la notification initiale, ce qui participe à notre sens à une plus grande méfiance des employeurs à l’égard de l’organisme.
En outre l’absence de barème conjugué à l’effet de seuil des incapacités permanentes, pourrait nous faire craindre que sur les contentieux employeurs aboutissant à une réduction du taux d’IPP en première instance, la CPAM n’interjette appel pour adjoindre une part socioprofessionnelle et ainsi maintenir le niveau de la sinistralité à celui correspondant à la notification initiale.
Un tel raisonnement serait contraire aux intérêts de l’employeur mais aussi et selon nous, à de nombreux principes de procédure. Force est de constater que si c’est la position de la 2ème chambre civile dans cet arrêt, de façon plus générale, c’est aussi la position de la jurisprudence à l’égard des employeurs.
Nous ne pouvons exclure qu’une telle sévérité soit motivée par une volonté de réguler le volume des contentieux en la matière, mais aussi de laisser l’employeur dans son rôle d’entité abstraite assumant le financement de la branche AT/MP, sans qu’il ne puisse en remettre en cause les modalités de calcul.
Risque hygiène sécurité
Tarification AT/MP : quelles obligations en cas de transfert d’entreprise ?
En principe, le taux de la cotisation due au titre des risques professionnels est déterminé annuellement et revêt, s’il n’est pas contesté dans le délai de deux mois à compter de sa notification par l’organisme social, un caractère définitif.
La CARSAT ne peut pas procéder à une révision rétroactive de ce taux de cotisation sauf fraude ou dissimulation de la part de l’employeur.
En l’espèce, la société repreneuse n’avait pas informé la CARSAT de la reprise d’une autre entreprise. Le fait que l’entreprise reprise ait procédé à la radiation de son compte employeur ne peut être assimilé au respect par la société repreneuse de sa propre obligation d’information l’organisme de la reprise du personnel et par conséquent d’une aggravation du risque.
Par conséquent, informée tardivement de la reprise, la CARSAT était fondée à modifier rétroactivement les taux applicables.
Civ., 2ème, 7 juillet 2022, n°21-11821.
Prescription biennale en matière de faute inexcusable : l’action prud’homale est-elle interruptive ?
Dans cette affaire un salarié a été victime le 16 septembre 2008 d’un accident du travail reconnu d’origine professionnelle par la Caisse. Après avoir saisi le 20 janvier 2009 un Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits de harcèlement moral, la victime a engagé le 16 août 2012 une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Rappelons que selon les dispositions du code de la sécurité sociale, l’action en faute inexcusable se prescrit par deux à dater du jour de l’accident ou de la cessation du paiement des indemnités journalières.
D’autre part, il résulte de l’article 2241 du code civil que si, en principe, l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque les deux actions, bien qu’ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
Pour déclarer l’action du salarié recevable la Cour d’appel retient « que l’action engagée devant le conseil des prud’hommes par la victime, en ce qu’elle tend, même en partie, à l’indemnisation d’un préjudice résultant du même fait dommageable, à savoir l’incident en date du 16 septembre 2008, qualifié par ailleurs d’accident du travail, tend au même but que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui tend à l’indemnisation des préjudices complémentaires subis par la victime à l’occasion de cet accident ».
La Cour de cassation confirme l’interprétation des juges du fond de sorte qu’en l’espèce l’action prud’homale engagée par la victime avait interrompu la prescription en matière de faute inexcusable.
Civ., 2ème, 7 juillet 2022, n°20-21294.
Sur la présomption de faute inexcusable des salariés intérimaires affectés à des postes à risque
Selon l’article L. 4154-3 du code du travail : l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur est présumée établie pour les salariés temporaires affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, n’ayant pas bénéficié de la formation renforcée à la sécurité.
Au soutien de son pourvoi, le salarié intérimaire engagé sur un poste de « préparation-conduite de véhicules » estimait que ce poste relevait des postes à risque dans la mesure où il était amené à occuper le poste de conducteur de véhicules, lequel figurait sur la liste des postes à risque.
Pour débouter le salarié de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur la Cour d’appel se fonde sur plusieurs éléments, relevant en premier lieu que le poste sur lequel il était affecté ne figurait pas sur la liste des postes à risque. Si cet élément est insuffisant à lui seul pour écarter la présomption, la Cour relève également aux termes du rapport établi par l’inspection du travail que les tâches confiées à la victime ne présentaient pas de risque particulier. S’agissant du point soulevé par la victime, relatif à la conduite de véhicule, l’inspection du travail précise que « si ce poste pouvait inclure une conduite de véhicule, il n’était pas entièrement dédié à la conduite, sur parc, avec possibilité de chargement de barge ou de fer » de sorte que son poste n’était pas considéré comme un poste à risque.
Par conséquent, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le salarié et confirme l’analyse des juges du fond.
Civ., 2ème, 7 juillet 2022, n°21-10611.
Sur la preuve de l’impossibilité de la Caisse de recueillir l’avis du médecin du travail
Dans cette affaire, la Caisse a pris en charge une maladie au titre de la législation professionnelle après avoir recueilli un avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).
L’employeur a contesté la décision de prise en charge considérant, à la lecture de l’avis du CRRMP, que l’avis du médecin du travail ne faisait pas partie des pièces transmises au comité.
Au soutien de sa demande d’inopposabilité, l’employeur faisait grief à la Caisse de ne pas démontrer avoir été dans l’impossibilité de recueillir ce document.
Si la Cour de cassation rappelle que le CRRMP peut se prononcer sans l’avis du médecin du travail lorsque la Caisse démontre avoir été dans l’impossibilité matérielle de recueillir cet élément, elle relève, s’agissant du cas d’espèce que cette dernière justifie avoir demandé à l’employeur de transmettre la déclaration de maladie professionnelle et son courrier au médecin du travail.
Considérant que la société ne justifie pas avoir déféré à la demande de la Caisse, la Cour de cassation estime que l’employeur ne peut reprocher ni à la Caisse ni au CRRMP d’avoir statué en l’absence de cet élément, de sorte que la décision de prise en charge lui est opposable.
Civ., 2ème, 22 septembre 2022, n°21-12023.
Risque de chute au sol : reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur
Dans cette affaire, un salarié avait fait une chute d’un escabeau au cours de ses travaux de peinture d’un bâtiment. A la suite de la prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle, le salarié a formé un recours en recherche de la faute inexcusable de son employeur.
Pour débouter le salarié de sa demande les juges du fond retiennent que l’employeur produit deux photographies selon lesquelles un escabeau sécurisé avait été mis à la disposition du salarié. Ils en déduisent que si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger relatif à un risque de chute, il n’est pas établi qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié de ce risque.
La Cour de cassation sanctionne les juges du fond considérant qu’il leur appartenait de vérifier d’une part si l’employeur avait satisfait à son obligation d’identification et d’évaluation des risques de chute auquel était exposé le salarié et, d’autre part, si le salarié avait été formé et disposait des moyens adaptés dans l’exécution de ses tâches.
Civ., 2ème, 22 septembre 2022, n°20-23725.
Risque contentieux social
Mise à jour du règlement intérieur au 1er septembre 2022
La loi du 21 mars 2022 (n°2022-401) visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte prévoit l’obligation, à compter du 1er septembre 2022, de rappeler au sein du règlement intérieur, l’existence d’un dispositif de protection des lanceurs d’alerte.
Cette obligation est prévue à l’article L.1321-2 3° du code du travail, dans sa version en vigueur à compter du 1er septembre 2022.
Ainsi, il appartient aux employeurs de programmer une mise à jour du règlement intérieur afin de se mettre en conformité. Cette obligation s’impose aux entreprises d’au moins 50 salariés pour lesquelles l’établissement d’un règlement intérieur est obligatoire, ainsi qu’aux entreprises dont l’effectif est inférieur à 50 salariés mais qui se sont pourvues d’un règlement intérieur.
La procédure de mise à jour est classique. Dans un premier temps, l’employeur doit soumettre la modification à l’avis du CSE. Puis, il doit transmettre à la DREETS le règlement modifié en deux exemplaires, accompagné du procès-verbal de la réunion de consultation du CSE. En parallèle, il doit déposer au greffe du Conseil de Prud’hommes le règlement modifié. Enfin, il doit le porter à la connaissance des salariés, par tous moyens.
Enquête pour harcèlement moral et respect du contradictoire
Si l’employeur a l’obligation de diligenter une enquête interne en cas de dénonciation de faits de harcèlement, à défaut de quoi, sa responsabilité pourrait être engagée pour manquement à l’obligation de sécurité de résultat, la mise en œuvre de celle-ci doit être réfléchie afin que les résultats puissent, le cas échéant être produits en justice.
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur le respect des droits à la défense et du principe du contradictoire dans le cadre d’un arrêt rendu le 29 juin 2022. Dans cette affaire, une salariée, directrice commerciale d’un groupe bancaire a été licenciée pour faute grave suite à la dénonciation de faits de harcèlement moral. Cette dernière conteste les modalités de l’enquête interne diligentée par l’employeur, invoquant un manquement au principe du contradictoire s’agissant du fait qu’elle n’ait pas été entendue ni confrontée au plaignants et témoins interrogés.
La Cour de cassation rejette son argumentation considérant que « le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction n’impose pas que, dans le cadre d’une enquête interne destinée à vérifier la véracité des agissements dénoncés par d’autres salariés, le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies ou qu’il soit confronté aux collègues qui le mettent en cause ni qu’il soit entendu, dès lors que la décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement ».
Soc., 29 juin 2022, n°20-22220.
Travail exceptionnel en arrêt maladie : quelle est la position de la Cour de cassation ?
Dans cette affaire, une salariée sollicitait la reconnaissance de la nullité de son licenciement considérant que son employeur avait manqué à son obligation de sécurité de résultat.
En l’espèce, la demanderesse, faisait valoir, preuves à l’appui, que son employeur avait manqué à son obligation en la faisant travailler pendant son arrêt maladie.
Si l’employeur reconnaissait expressément que la salariée avait travaillé pendant cette période de suspension du contrat de travail, il contestait l’avoir contrainte et estimait que la demande ponctuelle de renseignements adressée s’expliquait par la mise en œuvre prochaine d’un mi-temps thérapeutique.
La Cour de cassation relève que l’employeur reconnaissait avoir proposé à la salariée, après la visite médicale du 3 avril 2012, de reprendre le travail depuis son domicile, à son rythme. Les juges relèvent que dans ce cadre, cette dernière avait été amenée à travailler sur deux dossiers correspondant à un volume horaire de 14 heures de travail maximum.
Par conséquent, la Haute juridiction sanctionne les juges du fond considérant qu’ils ne pouvaient pas la débouter de sa demande indemnitaire.
Soc., 6 juillet 2022, n°21-11751.
Droit à la preuve dans le cadre d’un contentieux prud’homal
Dans cette affaire, s’estimant victime d’une inégalité de traitement, un salarié a saisi en référé la juridiction prud’homale pour obtenir la communication d’un certain nombre d’informations par son employeur dans le but d’être en mesure de comparer sa situation par rapport à celle de ses collègues.
Débouté par la Cour d’appel, le salarié porte l’affaire devant la Cour de cassation.
La Haute juridiction rappelle qu’en vertu de l’article 145 du code de procédure civile les mesures d’instruction peuvent être ordonnées s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve dont pourrait dépendre la solution du litige. D’autre part, et au visa des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales elle précise que « le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but recherché ».
La Cour de cassation sanctionne la décision des juges du fond considérant qu’il leur appartenait de rechercher dans un premier temps si la communication des pièces demandées n’était pas nécessaire à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi puis, dans un second temps, si les éléments étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés. En l’espèce, la Cour de cassation fait grief aux juges du fond de ne pas avoir vérifié quelles mesures étaient indispensables à l’exercice du droit à la preuve, au besoin en limitant la production des pièces sollicitées.
Soc., 12 juillet 2022, n°21-14313.
Demande de résiliation judiciaire dans un contexte de harcèlement moral
Dans cette affaire, un salarié a saisi la juridiction prud’homale les 30 avril et 14 septembre 2015 de demandes tendant à l’annulation de l’avertissement et à la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il a été licencié pour faute grave le 30 octobre 2015.
Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, le salarié invoquait une situation de harcèlement moral.
Pour rejeter la demande de résiliation judiciaire du salarié, la Cour d’appel retient que les éléments matériellement établis, à savoir un avertissement injustifié du 2 avril 2015, et la restriction apportée, le 17 juin 2015, à la délégation de pouvoir d’engager des dépenses afférentes à l’activité de l’association, sont insuffisants, pris dans leur ensemble, à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral.
La Cour de cassation sanctionne la décision des juges du fond relevant d’une part que l’employeur ne justifiait pas avoir aménagé le poste du salarié conformément aux préconisations du médecin du travail et, d’autre part, qu’il ne justifiait pas des suites données à l’alerte du salarié s’agissant d’un état d’épuisement physique et psychique. Selon la Haute juridiction, il appartenait également aux juges du fond d’examiner les certificats médicaux produits par le demandeur afin d’apprécier, si dans leur ensemble, ces éléments permettaient de retenir l’existence d’une présomption de harcèlement moral.
Soc., 12 juillet 2022, n°20-23367.
Harcèlement moral : méthodes managériales validées par la hiérarchie
Dans cette affaire, un salarié, directeur des systèmes d’information a été licencié pour faute grave. L’employeur lui reprochait un comportement irrespectueux, des faits de harcèlement moral à l’égard d’une subordonnée, et l’instauration d’un climat de tension et de peur avec « une volonté affichée d’éliminer l’ancienne équipe au profit de collaborateurs embauchés par lui-même ».
Le salarié a contesté cette décision soutenant que son employeur était parfaitement informé de ses méthodes managériales, lesquelles n’avaient pas été réprouvées par sa hiérarchie qui, au contraire, l’aurait conforté dans ses décisions.
Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation donnent raison au requérant considérant que les faits ne constituaient ni une faute grave, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement. En ce sens les juges relèvent que les méthodes managériales étaient connues de l’employeur et n’avaient pas été réprouvées, que le processus de réorganisation avait été conduit en concertation avec sa hiérarchie, laquelle l’avait soutenu dans ses décisions.
Autrement dit, les juges considèrent que le comportement du salarié était le résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble des supérieures hiérarchiques.
Soc., 12 juillet 2022, n°20-22857.
La défenseure des droits alerte sur l’inégalité entre salarié et employeur en matière de discrimination
Dans une décision cadre du 31 août 2022, relative aux conditions d’accès à la preuve de la discrimination, la défenseure des droits relève les difficultés rencontrées par les salariés pour accéder aux preuves.
Sur ce point, elle relève que si les règles de droit commun selon « chaque partie doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de ses prétentions » étaient appliquées, les victimes de discrimination se trouveraient dans l’impossibilité de rapporter la preuve de leur situation.
La Défenseure des droits considère qu’il existe une difficulté inhérente à l’accès à la preuve en matière de discrimination compte tenu du fait que l’employeur est le seul a être susceptible de détenir certains éléments permettant d’établir la preuve de la différence de traitement subie par le salarié.
Face à ce constat, elle estime que le juge doit permettre l’accès aux éléments de preuve en possession de l’employeur en « adoptant un rôle actif dans le contentieux de la discrimination afin de permettre au salarié de faire valoir ses droits et garantir l’effectivité de l’accès au recours au juge ». A cette fin, la Défenseure des droits rappelle les mesures d’instruction qui peuvent être ordonnées par le juge précisant qu’il s’agit du « droit d’obtenir une preuve qu’un salarié ne détient pas, pour la défense de son droit de faire reconnaître la discrimination subie ».
Ainsi, le juge peut enjoindre l’employeur à communiquer certains documents nécessaires à la preuve du salarié, étant précisé qu’en cas de refus ou d’abstention, les juges pourront en tirer toutes les conséquences.
Décision cadre de la Défenseure des droits, 31 août 2022, n°2022-139.
Quelle obligation de reclassement du salarié inapte lorsque l’entreprise recourt à l’intérim ?
Dans cette affaire, un salarié protégé a saisi la juridiction administrative aux fins d’annuler la décision de l’inspection du travail autorisant son licenciement pour inaptitude.
Rappelons que le licenciement ne peut être autorisé que dans l’hypothèse où l’employeur se trouve dans l’impossibilité de reclasser le salarié au terme d’une recherche sérieuse de postes. La question était de savoir si cette recherche doit également concerner les postes en intérim.
Sur ce point, le Conseil d’Etat estime que « dans l’hypothèse où l’employeur recourt (…) au travail temporaire dans des conditions telles qu’elles révèlent l’existence d’un ou plusieurs postes disponibles dans l’entreprise, peu important qu’ils soient susceptibles de faire l’objet de contrats à durée indéterminée ou déterminée, il lui appartient de proposer ces postes au salarié, pour autant qu’ils soient appropriés à ses capacités ».
Toutefois les juges précisent que les contrats conclus pour des durées très courtes, de deux à trois jours, afin de pallier des absences ponctuelles de salariés ou de faire face à des pointes saisonnières d’activité et qui présentent un caractère aléatoire, sont exclus du champ de la recherche de reclassement.
CE., 19 juillet 2022, n°43-8076.
Suspension du règlement intérieur pour défaut de consultation du CSE
L’introduction, la modification ou le retrait de clauses du règlement intérieur doit répondre à certaines formalités, dont l’obligation préalable de le soumettre à l’avis du comité social et économique. Dans cette affaire, un syndicat avait assigné une entreprise ayant modifié son règlement intérieur et demandait son annulation.
Pour faire droit à la demande du syndicat la Cour de cassation estime qu’il est recevable à demander en référé que soit suspendu le règlement intérieur d’une entreprise en raison du défaut d’accomplissement par l’employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel dès lors que le non-respect de ces formalités porte un préjudice à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente.
En revanche, la Haute juridiction précise que le syndicat n’est pas recevable à demander au tribunal judiciaire par voie d’action au fond la nullité de l’ensemble du règlement intérieur ou son inopposabilité à tous les salariés de l’entreprise, en raison du défaut d’accomplissement desdites formalités par l’employeur.
Soc., 21 septembre 2022, n°21-10718.
L'autorité de la chose jugée au pénal devant les juridictions prud’homales s’étend au mode de preuve
Lorsqu’un salarié est condamné devant les juridictions pénales pour les mêmes faits que ceux qui lui sont reprochés aux termes de la lettre de licenciement, ces faits sont inévitablement considérés comme fautifs dans le cadre d’une instance prud’homale.
Dans un nouvel arrêt, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’autorité de la chose jugée au pénal vaut également pour le mode de preuve.
Sur ce point, il y a lieu de préciser que devant les juridictions pénales, la preuve fournie par les parties est valable même si elle est obtenue de façon illicite ou déloyale. A l’inverse, devant les juridictions prud’homales, une telle preuve est en principe irrecevable sauf dans l’hypothèse où elle serait indispensable au droit à la preuve. Autrement dit, le régime probatoire au pénal peut reposer sur les éléments qui seraient écartés par le juge prud’homal.
En l’espèce, un salarié avait été condamné pour des faits de violences volontaires par le tribunal de police, puis licencié pour faute grave pour ces mêmes faits. Il contestait devant la juridiction prud’homale son licenciement estimant que la preuve des faits de violence reposait sur un enregistrement vidéo réalisé à son insu.
La Cour de cassation écarte son argumentation estimant que « l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend également aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision » de sorte que le salarié ne peut soulever devant le Conseil de Prud’hommes l’illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.
Soc., 21 septembre 2022, n°20-16841.
Risque pénal
Travail dissimulé chez un sous-traitant : quels recours pour le donneur d’ordre en cas de condamnation solidaire ?
Selon les dispositions du code du travail, le donneur d’ordre a une obligation de vigilance vis-à-vis de ses sous-traitant s’agissant des cas de recours au travail dissimulé, dès lors que le marché est au moins égal à 5.000 euros HT.
Pour satisfaire cette obligation, il appartient au donneur d’ordre d’exiger dès la conclusion du contrat et tous les six mois la remise d’un document d’immatriculation de la société et de l’attestation de vigilance délivrée par l’URSSAF, laquelle atteste notamment du respect des obligations liées à la déclaration et au paiement des charges sociales.
Selon l’article L.8222-2 du code du travail, en cas de manquement à cette obligation de vigilance, la condamnation du chef de travail dissimulé est solidairement prononcée à l’encontre du donneur d’ordre et du sous-traitant.
S’agissant des possibilités de recours du donneur d’ordre, le Conseil constitutionnel a précisé dans une décision du 31 juillet 2015 (n°2015-479 QPC) « que les dispositions contestées ne sauraient (…) interdire au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ».
Puis, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur ces dispositions dans un arrêt du 8 avril 2021 aux termes duquel elle estime que « si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document. ».
Dans une nouvelle affaire, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise que « le donneur d’ordre peut invoquer, à l’appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l’encontre de son cocontractant du chef de travail dissimulé ». En l’espèce, la cour d’appel avait rejeté le recours du donneur d’ordre en contestation du bien-fondé de la mise en œuvre de sa solidarité financière au motif que le redressement à l’origine de la mise en œuvre de la solidarité financière n’avait pas été contesté par la société sous-traitante, débitrice des cotisations dues au titre du travail dissimulé.
Civ., 2ème, 23 juin 2022, n°20-22128.
Modification de l’ordre du jour du CSE central en début de réunion : l’unanimité est requise
Dans une précédente décision (Crim., 5 septembre 2006, n°05-85895), la Cour de cassation avait jugé que l’action en délit d’entrave est irrecevable si la question de l’engagement des poursuites pénales ne figurait pas à l’ordre du jour et ne présentait aucun lien avec les questions débattues.
La Haute juridiction a été amenée à se prononcer récemment dans une affaire similaire dans laquelle l’ordre du jour de l’instance avait été modifié en début de séance pour ajouter un point s’agissant du « vote d’un mandat au secrétaire du CCE pour ester en justice pour entrave ». Estimant que la procédure d’adoption de cette délibération était irrégulière, l’entreprise soulevait l’irrecevabilité de l’action de l’instance.
La Cour de cassation admet que l’ordre du jour puisse être modifié en cours de réunion à l’unanimité des membres présents pour y inscrire un vote sur l’engagement d’une action pour délit d’entrave. Bien que le délai de huit jours concernant la communication de l’ordre du jour n’ait pas été respecté, la Cour estime que la délibération est recevable.
Crim., 13 septembre 2022, n°21-83914.
Risque environnemental
Mise en demeure des exploitants d’une ICPE : compétence liée du préfet
Le Conseil d’État confirme sa jurisprudence selon laquelle, en matière de police des installations classées, le préfet a compétence liée pour mettre en demeure les exploitants qui ne respecteraient pas les prescriptions qui s’imposent à leur installation.
Dans cette affaire, une société classée ICPE a changé d’exploitant, lequel a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Le préfet a alors adressé au liquidateur une mise en demeure s’agissant du respect des obligations relatives à la cessation d’activité et à la remise en état des ICPE, conformément aux dispositions du code de l’environnement.
Le liquidateur a sollicité l’annulation de l’arrêté préfectoral. La question était de savoir si lorsque l’exploitant d’une ICPE ne respecte pas les obligations concernant ce type d’installation, le préfet a la faculté ou l’obligation de le mettre en demeure.
Au visa de l’article L.171-8 du code de l’environnement selon lequel « « l’autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l’obligation d’y satisfaire dans un délai qu’elle détermine », le Conseil d’Etat considère qu’en cas d’inobservation des prescriptions applicables à une installation classée, le préfet est tenu d’édicter à la personne à laquelle incombe l’obligation, une mise en demeure d’y satisfaire dans un délai déterminé.
CE., 19 juillet 2022, nº44-4986.
Recours possible contre la preuve du dépôt d’une déclaration d’une ICPE
Dans cette affaire, le tribunal administratif était saisi d’une demande d’annulation de la décision d’un préfet de délivrer à une société la preuve du dépôt d’une déclaration d’une ICPE.
Avant de statuer, les juges du fond ont saisi le Conseil d’Etat aux fins de savoir si cette preuve de dépôt pouvait faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
Au visa des articles L.512-8 et L.514-6 du code de l’environnement, le Conseil d’Etat rappelle que les décisions prises en application de l’article L.512-8 relatif au régime de la déclaration relèvent d’un contentieux de pleine juridiction.
Partant, la Haute juridiction estime :
• que la délivrance par voie électronique de la preuve de dépôt de la déclaration, se substitue à la délivrance du récépissé de déclaration prévue par la réglementation initiale ;
• que cette déclaration conditionne toujours la mise en service par le déclarant de l’installation projetée ;
• que le préfet est tenu de délivrer la preuve de dépôt dès lors que le dossier de déclaration est régulier et complet et que l’installation pour laquelle est déposée la déclaration relève bien de ce régime.
Par conséquent, la dématérialisation de la procédure de déclaration des ICPE, ne modifient ni la nature ni la portée de la déclaration, de sorte que la preuve de dépôt d’une déclaration d’une ICPE est constitutive d’une décision faisant grief susceptible de faire l’objet d’un recours devant les juridictions administratives.
CE., 15 septembre 2022, n°46-3612.