À la une
Téléchargez la newsletter en cliquant sur le lien ci-dessous
Harcèlement au travail : quelle protection pour la victime, l'employeur et l'auteur ?
Les exigences procédurales en matière de faute inexcusable
Risque hygiène sécurité
Maladie professionnelle hors tableau : l'exigence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel
Inopposabilité obtenue en l'absence de transmission par la caisse du dossier médical à l'expert
Faute inexcusable : interruption de la prescription par l'action pénale
Risque contentieux social
Requalification de la faute grave en cause réelle et sérieuse de licenciement
Licenciement pour absence injustifiée d'un salarié
L'effet relatif de la signature d'une transaction
Convention de forfait : impossibilité pour l'employeur d'invoquer un accord de révision conclu avant le 8 août 2016
Le "team building" peut nuire gravement à la santé
Parité Femme-Homme sur les listes électorales
Barème Macron : nouvelle décision de la Cour d'appel de Paris qui valide le barème
Travail dissimulé : pouvoir de sanction de l'URSSAF
PSE et RPS : quel contrôle du juge judiciaire ?
Licenciement pour faute grave d'un salarié en arrêt suite à un accident du travail
Contrôle du champ d'application d'un accord de branche étendu
Risque pénal
Suicide du salarié à son domicile et poursuite pénale de l'employeur
Risque environnemental
La France condamnée pour pollution de l'air
Sur l'impossibilité d'enjoindre l'ancien exploitant de remettre en état un site pollué
À la une
Téléchargez la newsletter en cliquant sur le lien ci-dessous
Harcèlement au travail : quelle protection pour la victime, l'employeur et l'auteur ?
Saisies de plusieurs dossiers, les chambres sociale et criminelle de la Cour de cassation ont été amenées à se prononcer pour trancher différentes questions portant sur des faits de harcèlement au travail.
Le harcèlement regroupe des manifestations plurielles. Harcèlement moral, harcèlement sexuel, individuel ou institutionnel, ces agissements sont prohibés par des dispositions spécifiques du code du travail et du code pénal.
L’actualité du sujet, dans le contexte de la très médiatisée affaire France Télécom dont était saisie le Tribunal correctionnel de Paris, justifie à notre sens une analyse des décisions rendues par la Haute juridiction au cours du dernier trimestre 2019. Dans la première espèce (Soc., 27 novembre, 2019 n° 18-10551), une salariée, placée en arrêt maladie a écrit deux courriers à son employeur. Le premier pour lui faire part de problèmes de santé liés à son travail, le second pour dénoncer une situation de harcèlement moral de sa supérieure hiérarchique.
Un mois plus tard, elle était licenciée pour insuffisance professionnelle. Souhaitant contester cette décision, elle a saisi une juridiction prud’homale sollicitant la nullité du licenciement consécutif à la dénonciation du harcèlement moral et des indemnités notamment au titre du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. La Cour d’appel considérant qu’aucun agissement de harcèlement n’était caractérisé estimait qu’il ne pouvait être reproché à l’employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là même d’avoir manqué à son obligation de sécurité.
La Cour de cassation casse cette décision et rappelle que l’obligation de prévention des risques professionnels est distincte de la prohibition des faits de harcèlement moral et ne se confond pas avec elle. Ainsi, l’absence de harcèlement moral ne permet pas d’exclure tout manquement de l’employeur aux obligations issues des articles L.4121-1 et suivants du code du travail. Il appartenait donc aux juges du fond de rechercher si l’employeur n’avait pas manqué à son obligation de sécurité, en l’espèce en s’abstenant de mettre en oeuvre une enquête pour vérifier les allégations rapportées.
La seconde affaire présentée devant la chambre criminelle (Soc., 26 novembre 2019, n° 19-80360) concernait les modalités de dénonciation des faits de harcèlement. En l’espèce, une salariée employée d’une association, a rédigé un mail le 7 juin 2016 intitulé « agression sexuelle, harcèlement sexuel et moral ». Ce mail était notamment adressé au directeur de l’association, à l’inspection du travail, à l’agresseur présumé et à d’autres personnes extérieures à la direction de l’association. La Cour de cassation estime qu’au-delà de la question de savoir si le harcèlement est avéré ou non, la dénonciation de tels faits au-delà du cercle de personnes habilitées constitue une infraction de diffamation publique.
La matérialité de la situation de harcèlement est indépendante des droits des salariés en matière de prévention des risques, sans pour autant autoriser ce dernier à porter préjudice à la probité de l’auteur des faits.
Ces deux décisions permettent de revenir d’une part sur les obligations de l’employeur en matière de harcèlement (I) et sur les prérogatives des salariés placés dans de telles situations (II). En effet, il incombe à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour éviter ou faire cesser toute situation de harcèlement. Face à ces obligations, le salarié, véritable acteur de la prévention, dispose également de certaines prérogatives conférées par le législateur. En effet, l’article L.4131-1 du code du travail prévoit que le salarié confronté à « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » puisse exercer son droit d’alerte ou de retrait. Cette protection ne saurait être détournée de son objet par les salariés sous peine d’être poursuivis pour diffamation ou de risquer un licenciement pour faute grave.
I – LES OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT
Il incombe au chef d’entreprise de prévenir les faits de harcèlement. Cette obligation s’inscrit dans la continuité de l’obligation de prévention des risques professionnels instituée à l’article L.4121-1 du code du travail mais s’en distingue également dans la mesure où le harcèlement professionnel est régi par des dispositions spécifiques du code du travail (A). Au-delà des mesures qui doivent être prises en amont, l’employeur doit également intervenir en aval afin de faire cesser les situations de harcèlement (B).
A- Le respect des dispositions relatives au harcèlement moral et à l’obligation de prévention
Introduit par la loi du 17 janvier 2002, le harcèlement bénéficie d’un traitement spécial dans le code du travail. Dans son article 169, la loi de modernisation condamne le harcèlement moral : » Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». A la lecture de cet article, il apparaît que pour qualifier des faits de harcèlement moral trois conditions doivent être réunies. Premièrement, les agissements doivent être répétés. Deuxièmement, ils doivent porter atteinte aux droits et à la dignité de la victime. Troisièmement, et c’est ici une condition alternative, les agissements doivent soit altérer sa santé physique soit porter atteinte à sa santé mentale, ou bien compromettre son avenir professionnel. Par ailleurs, l’article 170 de la loi de modernisation sociale insère dans le code pénal des dispositions permettant la reconnaissance et la condamnation des faits constitutifs d’un harcèlement moral.
Dernièrement, le régime du harcèlement moral a été une nouvelle fois modifié par la loi Travail du 8 août 2016. Désormais, selon l’article L. 1154-1 du code du travail le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Le législateur a aligné le régime de la preuve du harcèlement sur celui des discriminations. S’agissant des obligations de l’employeur, au-delà de l’obligation générale d’assurer la santé et la sécurité des travailleurs énoncée à l’article L.4121-1 et suivants, l’article L.1152-4 du code du travail dispose que » l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral « .
A la différence d’autres risques psychosociaux, le harcèlement est un risque bien identifié par le code du travail. Une raison qui peut être avancée pour expliquer le fait que le harcèlement ne soit pas simplement englobé dans la notion de santé mentale mais soit pris en compte de façon indépendante concerne le régime d’administration de la preuve. En effet, le harcèlement est caractérisé par l’identification d’un lien de causalité entre des agissements répétés et leurs conséquences sur le salarié. Les éléments de fait, une fois vérifiés, permettent d’établir le lien de causalité et ainsi de prouver l’existence du harcèlement. Le facteur à l’origine du harcèlement est donc clairement identifiable au contraire d’autres risques psychosociaux qui par définition sont plurifactoriels.
Pour autant, il ne s’agit pas de confondre atteinte à la santé mentale et harcèlement moral. Par une décision du 9 octobre 2019 (n° 18-14069), la chambre sociale de la Cour de cassation a estimé que la seule constatation d’une altération de l’état de santé d’un salarié ne permettait pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral. En l’espèce, le salarié invoquait la dégradation de son état de santé et apportait au soutien de ses prétentions plusieurs certificats médicaux mentionnant un état anxio-dépressif sévère, et un lien formel entre son inaptitude et la situation de harcèlement dont il se prétendait être victime.
Ainsi, un salarié victime de harcèlement moral peut solliciter la réparation de son préjudice en invoquant à la fois l’absence de prévention de l’employeur et les conséquences issue du fait d’avoir subi un harcèlement. Au titre de son obligation de sécurité de résultat, l’employeur peut être condamné alors même qu’aucun harcèlement n’est subi. En effet, l’obligation de sécurité s’analyse davantage en une obligation de prévention. En ce sens, la réalisation du risque n’engage plus automatiquement la responsabilité de l’employeur, ce dernier ayant la possibilité de rapporter la preuve d’avoir mis en œuvre toutes les mesures de prévention (Soc., 25 novembre 2015, n° 14-24444).
En revanche, avec cette nouvelle définition de l’obligation de sécurité l’employeur peut être condamné s’il n’a pas pris de mesures de prévention et ce, même si le risque ne s’est pas réalisé.
La problématique du harcèlement en entreprise illustre la combinaison à opérer entre les mesures collectives et individuelles. En effet, la prévention du harcèlement est constituée de mesures collectives prises en amont et de mesures individuelles prises en aval, qui permettent à l’employeur à la fois de prévenir de façon globale le harcèlement ou de le faire cesser, le cas échéant.
En ce sens, les faits de la première espèce commentée confirment que les juges exercent leur contrôle à la fois sur les éléments de faits permettant d’apprécier la réalité du harcèlement et sur les mesures prises par l’employeur à la suite de la dénonciation de tels agissements. Sur ce dernier point, il incombe à l’employeur de diligenter une enquête.
B- La nécessité d’une réaction immédiate de l’employeur confronté à des faits de harcèlement
Dans le prolongement de l’arrêt Air France (n° 14-24444) et par un arrêt du 1er juin 2016 (n°14-19702), la Cour de cassation a admis que l’employeur pouvait s’exonérer de sa responsabilité s’il rapportait la preuve d’avoir mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses salariés d’une situation de harcèlement. Cette décision concernait des faits de harcèlement moral entre deux salariés. En l’espèce, un salarié victime de harcèlement moral, demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur. La Cour d’appel rejette la demande du salarié estimant qu’un dispositif de prévention des faits de harcèlement moral » ne peut avoir principalement pour objet que de faciliter pour les salariés s’estimant victimes de tels faits la possibilité d’en alerter directement leur employeur […] que l’employeur justifiait avoir modifié son règlement intérieur pour y insérer une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral, avoir mis en œuvre dès qu’il a eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique immédiat une enquête interne sur la réalité des faits, une réunion de médiation, […]d’organiser une mission de médiation pendant trois mois entre les deux salariés « . Les juges de la chambre sociale cassent et annulent la décision de la Cour d’appel en construisant leur raisonnement sur le modèle de l’arrêt « Air France » tout en l’adaptant au particularisme du harcèlement.
Alors que jusqu’à présent, la responsabilité de l’employeur était engagée en cas de harcèlement même lorsqu’il avait pris des mesures à le faire cesser il peut désormais s’en dégager sous réserve de répondre à deux conditions cumulatives énoncées dans un attendu presque identique à celui de l’arrêt » Air France « . En effet, les juges reprennent la formule de l’arrêt » Air France » : « ne méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, […] l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail » et la complètent, » et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser « .
Ainsi, comme le confirme la note rédigée par la Cour de cassation « la seule circonstance qu’il a pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement, circonstance nécessaire, n’est pas suffisante ». En exigeant de l’employeur qu’il prouve, s’il veut s’exonérer de sa responsabilité, qu’il a prévenu les faits de harcèlement moral, et pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser ces agissements dès son information de leur existence, les juges opèrent une « subtile combinaison » entre le nouveau régime issu de l’arrêt » Air France » et celui du harcèlement.
Dans l’arrêt faisant l’objet du présent article, les juges distinguent d’une part l’analyse des faits pour déterminer s’ils sont de nature à caractériser un harcèlement et l’appréciation des mesures prises par l’employeur. En ce sens, l’employeur destinataire de la dénonciation doit, sur le fondement de son obligation de sécurité de résultat, prendre les mesures nécessaires à faire cesser le trouble. Ainsi, il doit procéder à une enquête afin de déterminer les circonstances relatives à la plainte afin de vérifier si la situation relève d’un cas de harcèlement. Si les faits sont avérés, l’employeur a l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de les faits cesser et de protéger la victime.
Enfin, quand bien même les faits sembleraient injustifiés, et c’est ici l’apport de l’arrêt, l’employeur ne peut légitimement s’abstenir de mettre en œuvre une enquête. Les juges estiment qu’il manque à son obligation de sécurité s’il ne diligente pas une enquête même lorsque les faits laissant présumer l’existence d’un harcèlement moral ne s’avèrent, judiciairement, pas établis.
II – LES DROITS DU SALARIE EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LE HARCELEMENT
En complément des obligations de prévention des risques de l’employeur, le salarié n’est pas exempt de toute obligation de sécurité. En effet, au regard de la réalité des situations de travail, il ne serait pas sérieux de prétendre que l’employeur peut seul, garantir qu’aucun risque de ne se réalisera. Ainsi, selon l’article L.4122-1 du code du travail, » il incombe à chaque travailleur de prendre soin […] de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail « .
Cette obligation du salarié est accompagnée de certains prérogatives dont l’exercice du droit d’alerte (A) s’agissant de toute situation dont le salarié pourrait penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa santé et/ou sa sécurité. Dans un contexte où la dénonciation des faits de harcèlement a dépassé les frontières du travail dans certaines affaires, portant le débat au niveau sociétal, la question de la liberté d’expression et par opposition celle de la diffamation sont posées (B).
A – La protection par l’exercice du droit d’alerte
Selon l’article L.4131-1 du code du travail, » le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation ».
Partant, l’expression » droit d’alerte » est ici utilisée à la manière du Professeur Patrice ADAM pour désigner deux prérogatives distinctes : l’alerte individuelle qui correspond à la possibilité pour chaque salarié de dénoncer les actes harcelants dont il est victime, et le droit de se retirer d’une situation de travail dont il pense légitimement qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé.
Les dispositions du code instaurent une réelle protection des salariés qui exercent leur droit d’alerte. Aucune sanction de quelque nature qu’elle soit ne peut être prononcée à l’encontre d’un salarié qui aurait dénoncé des faits de harcèlement moral ou aurait témoigné. Le salarié qui dépose plainte pour harcèlement moral n’est pas tenu d’en informer préalablement son employeur (n° 1520916). Aussi, aucune retenue de salaire ne peut être prise à son encontre. L’intégralité du salaire lui est donc due, quelle que soit la durée du retrait, si les conditions d’exercice du droit sont réunies.
A ce titre et pour que la protection accordée au salarié soit effective la chambre sociale de la Cour de cassation semble exiger que ce dernier ait lui-même qualifié expressément les faits dénoncés de » harcèlement moral « . En ce sens, dans une décision rendue le 13 septembre 2017 (n° 15-23045) elle refusa le bénéfice de ladite protection à un salarié victime de ce qu’il appelait des comportements » abjects, déstabilisants et profondément injustes ».
A l’inverse, le fait que les conditions d’exercice du droit d’alerte ne soient pas remplies, peut justifier le licenciement du salarié pour faute grave. (Soc., 21-1-2009 n° 07-41.935).
La possibilité laissé au salarié de dénoncer des faits de harcèlement n’est donc pas sans limite.
B- Sanction du non-respect des règles de dénonciations de faits de harcèlement
Lorsque l’auteur de la dénonciation est de mauvaise foi, il peut être sanctionné. La Cour de cassation est allée jusqu’à considérer que la dénonciation de mauvaise foi pouvait justifier un licenciement pour faute lourde (Soc., 7 février 2018, n° 16-19594) voire pour faute grave (Soc. 13 février 2013, n° 01-11734) étant précisé qu’elle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis mais uniquement de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits dénoncés (Soc., 7 février 2012 n° 10-18035).
Après le retentissement national de l’affaire #balancetonporc, l’initiatrice du célèbre hashtag avait été condamnée par la Tribunal de Grande Instance de Paris fin septembre 2019 pour diffamation.
Dans une décision du 28 septembre 2016, la première chambre de la Cour de cassation avait jugé que le salarié qui dénonce des agissements de harcèlement moral dont il s’estime victime, auprès de l’employeur ou des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, ne peut pas être poursuivi pour diffamation.
A l’inverse, des poursuites en diffamation sont envisageables lorsque le salarié est de mauvaise foi ou lorsque les faits sont portés à la connaissance de personnes n’ayant aucun pouvoir de contrôle de l’application des dispositions du code du travail.
Pour rappel, dans la seconde espèce mentionnée en introduction, une salariée employée d’une association a rédigé un mail de dénonciation de faits de harcèlement, lequel avait été adressé au directeur de l’association, à l’inspection du travail, à l’agresseur présumé et à d’autres personnes extérieures à la direction de l’association. L’auteur a été poursuivi en diffamation par l’agresseur présumé.
Selon les dispositions de l’article 296 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, la diffamation est définie comme » toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé . Tant les mots employés que le contexte dans lequel ils sont prononcés permettent d’apprécier l’existence d’une diffamation étant précisé que des allusions ou des insinuations suffisent à qualifier une telle infraction.
Devant les juridictions pénales la mauvaise foi de l’auteur des allégations diffamatoires est présumée charge à ce dernier de démontrer soit la vérité du fait diffamatoire soit l’existence de circonstances particulières de nature à lui faire bénéficier de la bonne foi.
La Cour d’appel a retenu le caractère diffamatoire et attentatoire à l’honneur des faits dénoncés dès lors qu’ils sont susceptibles de constituer des délits et suffisamment précis pour faire l’objet d’un débat sur leur vérité. Par ailleurs, les juges relèvent que, s’il existe des éléments permettant d’établir la réalité d’un harcèlement moral, voire sexuel dans la perception qu’a pu en avoir la salariée, rien ne permet de prouver l’existence de l’agression sexuelle en 2015, pour laquelle la salariée n’a pas déposé plainte et ne produit aucune pièce.
Ainsi, la personne poursuivie du chef de diffamation, après avoir révélé des faits de harcèlement sexuel ou moral dont elle s’estime victime, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale lorsqu’elle a dénoncé ces agissements, dans les conditions prévues par les dispositions du code du travail, auprès de son employeur ou des organes chargés de veiller à l’application de ces dispositions.
Toutefois, pour bénéficier de cette cause d’irresponsabilité pénale, cette dernière doit avoir réservé l’information de tels agissements à son employeur ou aux organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail et non, comme en l’espèce, l’avoir aussi adressée à des personnes ne disposant pas de l’une de ces qualités.
En conclusion, le caractère public de l’audience pénale est exclusif de l’infraction de diffamation en cas de condamnation de l’auteur des faits. En l’absence d’action répressive, l’auteur présumé bénéficie de la présomption d’innocence, celle-ci étant par ailleurs renforcée par la présomption de mauvaise foi du dénonciateur des faits, y compris si celui-ci devait être la victime.
Les exigences procédurales en matière de faute inexcusable
La volonté indemnitaire est l’une des motivations des actions en faute inexcusable initiées par les salariés. Si en matière de fait accidentel, la matérialité de celui-ci permet de circonscrire la cause des préjudices, la notion d’exposition requise pour les maladies professionnelles peut conduire à une interprétation multiple de la cause du fait dommageable.
Dans la première affaire, un salarié avait initié une action en faute sur la base d’une prise en charge notifiée au visa du tableau 25 (Affections consécutives à l’inhalation de poussières minérales renfermant de la silice cristalline). Débouté de son action, il interjette appel et en cause d’appel, modifie le fondement de ses poursuites, invoquant le tableau 44 (Affections consécutives à l’inhalation de poussières minérales ou de fumées, contenant des particules de fer ou d’oxyde de fer) pour lequel il avait également reçu une notification de prise en charge.
La Cour d’appel avait considéré que » la demande du requérant au titre du tableau 44 n’était pas nouvelle puisqu’elle tendait aux mêmes fins que celle soumise aux premiers juges, à savoir la reconnaissance d’une faute inexcusable « . Dans son arrêt du 28 novembre 2019 (n°18-20225), la Cour de cassation casse l’arrêt déféré, au motif que les fins indemnitaires diffèrent selon le tableau de maladie professionnelle justifiant l’action et qu’ainsi une action en faute inexcusable ne peut être diligentée que sur la base d’un seul tableau.
Dans la seconde affaire, un salarié a initié une action en faute inexcusable à l’encontre de son employeur le 26 avril 2011, sur la base d’une maladie professionnelle du 17 mars 2008 et pour laquelle il a été consolidé au 28 juillet 2009. Un procès-verbal de non-conciliation a été formalisé le 7 septembre 2011 entre le salarié et le cessionnaire de l’activité, ayant repris l’entité initiale en date du 12 mars 2009. Le salarié porte l’affaire devant la juridiction de sécurité sociale le 31 juillet 2013, mais à l’encontre du cédant.
Selon la Cour d’appel, si le salarié est libre d’engager une action en faute inexcusable à l’encontre de l’employeur de son choix, cette alternative « ne peut avoir pour effet qu’une action à l’encontre de l’un interrompe la prescription à l’égard de l’autre ». Pour la Haute juridiction, dans un arrêt du 19 décembre 2019 (n°18-25333), peu importe les conditions dans lesquelles le contrat a été transféré, dès lors qu’il s’agit d’entreprises distinctes et surtout que les deux actions » procédaient du même fait dommageable « .
L’analyse comparée de ces deux arrêts nous conduit à considérer que la Haute juridiction cloisonne les procédures et les préjudices en fonction de l’exposition invoquée. Selon l’assurance maladie, » une maladie professionnelle est la conséquence de l’exposition plus ou moins prolongée à un risque qui existe lors de l’exercice habituel de la profession « . De cette définition, nous constatons la globalisation de l’exposition à » l’exercice habituel de la profession « , sans cloisonnement d’agents pathogènes.
Il y a donc un décalage entre la notion de fait dommageable et le tableau justifiant de la prise en charge. Ainsi et de par sa jurisprudence, la Cour a distingué l’unicité des conditions de travail, élément matériel de l’exposition, des modalités de sa prise en charge, élément administratif de celle-ci.
La notion d’exposition constitue le point commun du raisonnement de la deuxième chambre civile. Bien que plurielle quant aux causes pathogènes, elle demeure unique dans le prisme des conditions de travail (I). La notion d’exposition est contractuellement assimilée à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. La cession du contrat de travail confère la qualité de tiers au cédant dans le cadre de la nouvelle relation de travail. Or, la référence au fait dommageable pour interrompre la prescription à l’encontre du cessionnaire, non visée dans la procédure initiale, permettrait de conclure à une remise en cause de l’effet relatif des contrats (II). Ce raisonnement serait préjudiciable aux intérêts de l’employeur cessionnaire nous permettant de conclure qu’en matière de maladie professionnelle, une distinction devrait être faite entre le fait dommageable et l’exposition.
I- Une exposition unique à des agents pathogènes distincts
La caractérisation de l’unicité de l’exposition (A) est un préalable obligatoire. De celle-ci va découler des règles de procédures propres au fait dommageable, lesquelles devraient être limitatives quant aux conséquences indemnitaires (B).
A. Sur la délimitation de l’unicité d’exposition
Une maladie est professionnelle lorsqu’elle est la conséquence directe de l’exposition d’un travailleur à un risque physique, chimique ou biologique, ou résulte des conditions dans lesquelles il exerce son activité professionnelle et si elle figure dans un des tableaux du régime général. Ainsi et en application de l’article L.461-1, la présomption d’imputabilité professionnelle est établie pour toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau. Dès lors et d’un point de vue légal, l’article de référence ne fait pas mention d’une « exposition », mais de modalités prévues aux tableaux.
Ainsi l’exposition s’entend au sens large puisqu’elle porte tant sur l’interaction avec des agents pathogènes que l’environnement de travail mais également les gestes et postures du salarié. A ce titre, il sera rappelé que dans le premier arrêt commenté, les tableaux visés sont les n°25 et 44 alors que dans le second, il s’agit du tableau 57. Nous sommes donc en présence de deux formes d’exposition distinctes.
Concernant la notion d’unicité, les tableaux 25 et 44 font références à une liste « indicative ». Dès lors, la notion d’exposition ne se limite pas aux substances pathogènes inscrites dans les tableaux visés. Dans ces hypothèses, la délimitation de l’exposition reste relative et c’est bien le lien de causalité entre la pathologie et l’activité habituelle qui permettra le cas échéant au CRRMP d’établir l’imputabilité professionnelle.
Ainsi, si l’exposition est indicative, ou si la durée requise pour établir la présomption d’imputabilité n’est pas établie, le salarié pourrait prétendre à la reconnaissance du caractère professionnel de sa pathologie permettant de conclure que la notion d’exposition selon les conditions du tableau ne peut être un critère déterminant.
Nous considérons que la Cour aurait dû, plutôt que de se fonder sur l’intitulé des tableaux, s’assurer par une expertise médicale, de l’impossibilité de contracter une pathologie visée au tableau 25 du fait d’une exposition aux substances du tableau 44. Ce ne serait que dans une telle impossibilité, démontrée médicalement, que nous aurions pu évoquer une distinction de fait dommageable. A défaut d’une preuve d’exclusion de causalité, l’exposition reste cloisonnée au libellé du tableau fondant la prise en charge.
B. Du fait dommageable unique aux conséquences indemnitaires globales
La deuxième chambre civile a distingué deux actions en faute inexcusable, comme étant fondées sur deux prises en charge et partant deux expositions distinctes. Toutefois si nous nous intéressons aux maladies visées par ces tableaux, nous relèverons que le tableau 25 fait référence à une » pneumoconiose caractérisée par des lésions alvéolo-interstitielles bilatérales » lorsque le tableau 44 évoque » pneumopathie interstitielle chronique par surcharge de particules de fer ou d’oxydes de fer « .
Dans la mesure où l’arrêt du 19 décembre 2019 fait référence à la notion de fait dommageable, la question se pose de savoir si les conséquences médicalement identiques d’une exposition à des substances distinctes peuvent être assimilées à un même et seul fait dommageable. Ainsi, tant le tableau 25 que 44 font référence à des « de troubles fonctionnels respiratoires d’évolution rapide » pour le premier et à des » troubles fonctionnels respiratoires » pour le second (même s’il ne s’agit pas d’une condition exclusive). Force est de constater que les conséquences dommageables sont les mêmes, à savoir pulmonaires, quand bien même il s’agit de deux prises en charges fondées sur deux tableaux différents.
Pour autant la Cour, en distinguant les expositions, a distingué les lésions et donc les préjudices indemnisables. Si l’expert désigné suite à reconnaissance de la faute devra établir les seuls préjudices en lien direct et exclusif avec la pathologie fondant la faute, la question se pose de savoir comment l’employeur pourrait exclure certaines doléances susceptibles de résulter de l’autre tableau, dès lors que dans cette espèce, il s’agit de deux maladies pulmonaires.
Si l’irrecevabilité de l’action en faute inexcusable sur le second tableau de maladie professionnelle, invoqué en cause d’appel, peut sécuriser l’employeur, il n’en demeure pas moins qu’au niveau de l’expertise, il est à craindre qu’il indemnise l’ensemble des préjudices résultant de ces deux pathologies, ne pouvant distinguer, dans les souffrances endurées, le préjudice d’agrément, le déficit fonctionnel… la part relevant à telle maladie plutôt qu’à une autre.
Le salarié a cru bon de modifier son argumentation alors qu’en maintenant ses prétentions initiales, il aurait pu, en cas de reconnaissance de la faute, obtenir la même indemnisation.
II- Lorsque l’exposition excède l’effet relatif du contrat
En matière de maladie professionnelle, les conditions d’exposition sont par définition antérieures à la constatation médicale de la pathologie. A cette date, le manquement contractuel est caractérisé et relié au contrat de travail au titre du manquement à l’obligation de sécurité de résultat. Toutefois la cession de ce dernier ne serait pas une cause d’exonération du cédant (A), permettant de conclure que l’exposition est plus rattachée à la personne du salarié (B), assurant la primauté de la notion de fait dommageable à celle d’exposition.
A. La conservation d’une dette indemnitaire dans le patrimoine du cédant
Dans le second arrêt, le cédant invoquait à son bénéfice l’irrecevabilité de l’action en faute inexcusable à son encontre, au motif que sur la base des divers points de départ de la prescription biennale d’une part, n’ayant pas été initialement mis en cause lors de la phase préalable diligentée par la CPAM d’autre part, la prescription lui était acquise.
Son raisonnement était conforme à l’effet relatif des contrats visé à l’article 1199 du Code civil lequel dispose que » le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. Les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV. «
En effet les faits précisent que le contrat a été cédé. Ainsi le cédant n’est pas un employeur antérieur à l’origine d’une exposition similaire, mais bien un tiers à la relation contractuelle, celle-ci étant l’objet de la cession.
Pourtant, dans l’arrêt du 19 décembre, la deuxième chambre déplace le fait générateur et ne se limite plus à la seule notion d’exposition dès lors qu’elle fait référence à celle de fait dommageable. En effet ce dernier induisant un préjudice, nous considérons que la Cour contourne l’effet relatif des contrats en étendant la notion d’exposition, pour considérer que la faute se fonde sur un fait dommageable lequel serait distinct de l’exposition puisque celle-ci, constituée par une dette indemnitaire, a été cédée contractuellement.
Cette solution est source d’insécurité puisque s’il était établi que le salarié peut choisir le débiteur de son choix quant à l’entreprise à attraire en faute inexcusable, il n’existe pas de fondement juridique pour attraire une entreprise qui, de par la cession des contrats, est devenue tiers à la relation de travail.
Ce raisonnement devient possible par une novation du fait générateur de l’action. En effet ce ne serait plus l’exposition, mais bien ses conséquences qui seraient le fondement de celle-ci, permettant donc de mettre en opposition ces arrêts dès lors que dans celui de novembre 2019, les conséquences pathogènes étaient identiques, malgré des tableaux distincts, elles devaient logiquement procéder d’un même fait dommageable, à savoir les conditions de travail.
B. La pluralité de la finalité indemnitaire
La Haute juridiction aurait pu rejeter l’action du salarié dirigé à l’encontre du cédant au motif qu’outre la prescription acquise, le cédant était devenu tiers, et ce même s’il a été à l’origine de l’exposition. Dans cette hypothèse le salarié aurait fait reconnaître la faute du cessionnaire, à charge pour lui d’actionner une garantie de passif ou à défaut d’initier une action contentieuse s’il n’avait pas déjà minoré le prix de la vente.
Si, comme nous l’avons rappelé, la finalité indemnitaire demeure la motivation principale du requérant, la lecture de l’arrêt de décembre pourrait nous conduire à considérer que la reconnaissance d’une faute inexcusable serait également faite à des fins de sanction à l’encontre de l’employeur responsable personnellement de l’exposition, indépendamment d’une quelconque cession.
En effet, il sera rappelé que la consolidation de l’état de santé du salarié s’est faite postérieurement à la cession de son contrat de travail. Ainsi, l’existence de ses préjudices n’a été avérée qu’après la cession. Pour autant et sur le principe d’une réparation intégrale, le cédant a été tenu d’indemniser le requérant de l’ensemble de ses préjudices, sans qu’une mise en cause du cessionnaire n’ait été formalisée.
Par cet arrêt, la Cour a mêlé la notion de fait dommageable pour opposer la suspension de la prescription mais a repris celle d’exposition pour établir la responsabilité exclusive du cédant.
La volonté indemnitaire des requérants demeure et elle est encouragée par la personnalisation du débiteur de l’indemnisation, auteur du fait dommageable.
Risque hygiène sécurité
Maladie professionnelle hors tableau : l'exigence d'un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel
Dans cette affaire, la veuve d’un salarié a formalisé le 18 octobre 2010 une déclaration de maladie professionnelle faisant état d’un cancer du colon. Cette affection n’est pas désignée par un tableau de maladies professionnelles. Suite à l’avis défavorable d’un CRRMP, la caisse a refusé la prise en charge de cette affection au titre de la législation professionnelle.
Souhaitant contester cette décision, la demanderesse a saisi une juridiction de sécurité sociale qui a reconnu l’origine professionnelle de la maladie d’une part et a confirmé le caractère définitif du refus à l’égard de l’employeur d’autre part. La CPAM a formé un pourvoi à l’encontre de cette décision.
1 – Sur l’opposabilité de la décision à l’employeur
Dès lors que la décision initiale de refus de prise en charge a été notifiée à l’employeur, dans les conditions prévues par l’article R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, elle revêt un caractère définitif à son égard. Par conséquent, la mise en cause de ce dernier dans l’instance engagée contre la même décision par la victime ou ses ayants droit, est sans incidence sur les rapports entre l’organisme social et l’intéressé.
2 – Sur l’origine professionnelle de la pathologie
Pour reconnaître l’origine professionnelle de la maladie hors tableau, la Cour d’appel avait estimé qu’elle n’était pas liée par les avis défavorables des deux CRRMP. Par suite, elle relevait que l’origine multifactorielle de la maladie n’était pas de nature à exclure son caractère professionnel dès lors que l’article L.461-1 alinéa 3 du code de la sécurité sociale n’exige pas que le travail habituel du salarié soit la cause unique ou essentielle de la maladie mais qu’elle en soit une cause directe. Enfin, les juges estimaient que le cancer dont était décédé la victime avait directement été causé par une exposition significative aux poussières d’amiante.
C’est aussi au visa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale que la Cour de cassation se prononce. Elle rappelle les conditions de prise en charge des maladies hors tableau :
– la maladie doit être essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime
– la maladie doit entraîner une incapacité permanente d’un taux au moins égal à 25% ou le décès de la victime.
La Cour de cassation sanctionne la décision d’appel estimant qu’il n’existait pas un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail habituel de la victime.
Civ., 2ème., 7 novembre 2019, n°18-19.764.
Inopposabilité obtenue en l'absence de transmission par la caisse du dossier médical à l'expert
En l’espèce, un salarié a été victime d’un accident du travail. Le lendemain, l’employeur a formalisé une déclaration d’accident du travail laquelle mentionnait « en ramassant des cailloux à la pelle, la victime aurait fléchi les genoux et aurait ressenti une douleur dans le genou droit en se relevant ». Le certificat médical initial faisait état d’une « arthroscopie du genou droit avec micro fracture ».
Suite à l’avis de prise en charge par la caisse du sinistre au titre de la législation professionnelle, l’employeur a saisi la commission de recours amiable, laquelle a rendu une décision de rejet. L’employeur a porté l’affaire devant une juridiction de sécurité sociale. Par un premier jugement, le tribunal a ordonné une expertise portant notamment sur le fait de savoir si l’accident était lié à l’activité professionnelle ou résultait d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte, sans rapport avec le travail.
L’expert a rendu un constat de carence, indiquant qu’il n’avait pas pu remplir sa mission en l’absence de tout document communiqué par la caisse. En conséquence, le tribunal a déclaré inopposable à l’employeur la décision de prise en charge de l’accident du travail.
La caisse a interjeté appel, sollicitant à titre principal l’opposabilité de la décision vis-à-vis de l’employeur et, à titre subsidiaire, l’organisation d’une nouvelle expertise. Elle estimait que la présomption d’imputabilité n’avait pas été contestée par l’employeur et que ce dernier ne rapportait pas la preuve d’une cause totalement étrangère ou d’un état pathologique antérieur.
Dans son arrêt la Cour d’appel relève que l’employeur établissait un commencement de preuve d’une cause étrangère au travail sur la base de laquelle le tribunal a ordonné une expertise médicale aux fins notamment de vérifier la durée des soins et arrêts en lien avec l’accident du travail.
Compte tenu du fait que la caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire en omettant de transmettre à l’expert le dossier médical, la décision de prise en charge devait être déclarée inopposable à l’employeur, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une nouvelle expertise.
CA de Bordeaux, 12 décembre 2019, n° 17/02225.
Faute inexcusable : interruption de la prescription par l'action pénale
Un salarié a été victime d’un accident le 21 mai 2008, pris en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM.
Devant les juridictions pénales, la société a été convoquée le 7 décembre 2009 dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Elle ne s’est pas présentée. Par décision du 5 avril 2012, le tribunal correctionnel l’a condamnée pour infraction à la réglementation sur l’hygiène, la sécurité et la santé au travail, et, blessures involontaires.
Le 4 octobre 2012, le salarié victime a saisi une juridiction de sécurité sociale d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
Conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, l’action en faute inexcusable se prescrit par deux ans à compter du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière.
Dans cette affaire, la question était de savoir si l’action pénale avait interrompu la prescription de l’action en faute inexcusable.
Selon l’article L.431-2 du Code de la sécurité sociale, la prescription biennale opposable aux demandes d’indemnisation complémentaire de la victime ou de ses ayants droit est interrompue par l’exercice de l’action pénale engagée pour les mêmes faits . Ainsi, la convocation de l’employeur par le procureur de la République dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, constitue une cause d’interruption.
La Cour d’appel relève que la victime a perçu des indemnités journalières jusqu’au 19 octobre 2008, et qu’elle a saisi la caisse d’une demande en reconnaissance de faute inexcusable le 17 juillet 2012. Les juges retiennent que la société a été convoquée le 7 décembre 2009 en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, qu’elle n’a pas comparu devant le procureur de la République, et que le tribunal correctionnel n’a été saisi que le 8 février 2012 par citation, de sorte que le délai de prescription n’ayant pas été interrompu avant le 19 octobre 2010, l’action de la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur est prescrite.
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement et considère que la convocation délivrée le 7 décembre 2009 par le procureur de la République avait interrompu la prescription de sorte que l’action de la victime était recevable.
Civ., 2ème, 19 décembre 2019, n°18-20658.
Risque contentieux social
Requalification de la faute grave en cause réelle et sérieuse de licenciement
Dans cette affaire, un salarié exerçant ses fonctions en tant que responsable d’exploitation dans une entreprise de transport a été licencié pour faute grave pour des faits de harcèlement sexuel. Il a contesté cette décision devant les juridictions prud’homales.
Dans un premier temps, la Cour de cassation s’intéresse à la qualification du harcèlement sexuel. Elle relève que la salariée se plaignant de harcèlement sexuel avait répondu aux SMS du salarié, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative de cette correspondance ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi. De plus, sur son lieu de travail, la salariée aurait adopté à l’égard de son supérieur hiérarchique une attitude très familière de séduction permettant de déduire qu’elle avait volontairement participé à un jeu de séduction réciproque. Sur la base de ces éléments la Cour écarte l’existence d’un harcèlement sexuel.
Dans un second temps, les juges recherchent si ces faits peuvent justifier une sanction disciplinaire. A ce titre, ils retiennent que le salarié occupant un poste à responsabilité avait de manière répétée pendant deux ans adressé à une de ses subordonnée des SMS au contenu déplacé et pornographique. Ce comportement lui faisait perdre toute autorité et crédibilité dans l’exercice de ses fonctions de direction. Par conséquent, ces faits se rattachaient à la vie de l’entreprise et pouvaient justifier un licenciement disciplinaire.
Enfin, la Cour se prononce sur la qualification de faute grave retenue par l’employeur. Elle estime que les faits invoqués n’étaient pas constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, mais simplement d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Soc., 25 septembre 2019, n°17-31171.
Licenciement pour absence injustifiée d'un salarié
Un salarié a été licencié pour faute au motif de son absence injustifiée. En cause, une demande de congés abusive selon l’employeur, dont le salarié s’est tout de même accordé le bénéfice.
Sur les faits : le salarié a formalisé une demande de congés supérieure au nombre de jours de congés acquis. Il souhaitait prendre 17 jours de congés au titre d’un événement familial et des jours de congés par anticipation. Pourtant, il ne se prévalait d’aucun droit à congé exceptionnel pour événement familial tel que prévu par la convention collective applicable au litige. N’ayant pas repris son travail à l’issue des congés payés auxquels il avait droit, l’employeur l’a licencié pour faute.
Devant la juridiction prud’homale, le salarié sollicitait la reconnaissance d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, se prévalant de l’accord de son supérieur hiérarchique pour l’ensemble de la période des congés demandés.
La Cour de cassation confirme la décision des juges d’appel de débouter le salarié de ses demandes. Les juges relevaient que le salarié avait immédiatement été informé des anomalies affectant sa demande et que la validation postérieure par le responsable hiérarchique résultait d’une erreur. En dépit des demandes répétées de son employeur de reprendre son poste à l’issue des congés payés auxquels il avait droit, le salarié ne s’était pas présenté. Cette absence était constitutive d’une faute, justifiant son licenciement.
Soc., 9 octobre 2019, 18-15029
L'effet relatif de la signature d'une transaction
A la suite d’un différend portant sur sa classification, une salariée a conclu une transaction avec son employeur prévoyant le versement d’un rappel de salaire et l’attribution d’un nouveau coefficient. Poursuivant ainsi l’exécution de son contrat de travail auprès du même employeur, la salariée a saisi un conseil de prud’hommes aux fins d’obtenir le versement d’indemnités au titre d’une discrimination salariale.
D’après la jurisprudence, la conclusion d’une transaction empêche l’introduction ou la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet. Elle éteint définitivement les contestations qui y sont traitées
En l’espèce, pour déclarer irrecevable la demande de la salariée, la Cour d’appel estimait que la transaction avait un objet plus large que les simples revendications originelles. La salariée avait donc renoncé aux droits nés ou à naître et à toute instance relative à l’exécution du contrat de travail.
La Cour de cassation sanctionne ce raisonnement. Elle considère que la conclusion de la transaction ne prive pas la salariée de son droit d’ester en justice dans le cadre d’un litige relatif à l’exécution de son contrat de travail lorsque les faits portent sur une période postérieure à la transaction et que leur fondement est né postérieurement à la transaction.
Soc., 16 octobre 2019, n° 18-18287
Convention de forfait : impossibilité pour l'employeur d'invoquer un accord de révision conclu avant le 8 août 2016
C’est dans le cadre d’une action en résiliation judiciaire que la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la validité d’une convention de forfait en jours. Dans un arrêt bénéficiant d’une large publication elle confirme dans un premier temps l’analyse de la Cour d’appel quant à la validité de la convention de forfait avant de se prononcer sur la résiliation judiciaire.
1- Sur la validité de la convention de forfait en jours
En l’espèce, le litige portait sur l’article 13.2 de l’avenant n° 1 du 13 juillet 2004 relatif à la durée et à l’aménagement du temps de travail, aux congés payés, au travail de nuit et à la prévoyance à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997. Pour prononcer la nullité de la convention de forfait, la Cour d’appel retenait que l’article 13.2 ne garantissait pas que l’amplitude et la charge de travail du salarié ayant conclu une convention de forfait en jours restent raisonnables. Cette même disposition n’assurait pas une bonne répartition dans le temps de son travail et, a fortiori, la protection de sa sécurité et de sa santé dans l’exercice de ses fonctions.
Pour sa défense, l’employeur invoquait les dispositions de l’arrêté d’extension de l’avenant n° 22 du 16 décembre 2014 relatif aux cadres autonomes, entré en vigueur le 1er avril suivant, qui remplaçait l’article 13.2 précité. Au regard de ce texte, il sollicitait la validation de la convention de forfait.
La Cour d’appel n’accueille pas cet argument. Pour déclarer la convention de forfait nulle, elle retient que l’employeur n’avait pas soumis au salarié de nouvelle convention de forfait en jours après le 1er avril 2016. Partant, il ne pouvait se prévaloir des dispositions de ce texte pour la période postérieure à son entrée en vigueur.
Il convient de préciser qu’avec l’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, le code du travail prévoit aux articles L.3121-64 et L.3121-65 les règles relatives à la conclusion d’une convention individuelle de forfait en heures ou en jours. L’article 12 de ladite loi permet la poursuite de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours, sans qu’il y ait lieu de requérir l’accord du salarié à la condition que cette convention soit révisée pour être mis en conformité. La mise en conformité s’entend “avec l’article L. 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi”, ce qui implique que les conventions ou accords collectifs de révision soient conclus postérieurement à l’entrée de vigueur de la loi du 8 août 2016. En l’espèce, l’avenant était entrée en vigueur au 16 décembre 2014.
2- Sur la demande résiliation judiciaire
Pour faire droit à la demande du salarié de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, les juges du fond devaient caractériser des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Pour ce faire, ils relèvent une atteinte aux droits du salarié en ce qui concerne l’organisation de son temps de travail et de son temps de repos qui ont des conséquences sur sa vie personnelle. Cette atteinte constituait un motif suffisamment grave justifiant de l’impossibilité de poursuivre le contrat de travail.
Soc., 16 octobre 2019, n°18-16539
Le "team building" peut nuire gravement à la santé
Dans cette affaire, un manager a sollicité un prestataire – référencé par son employeur – pour organiser une activité « team building » avec son équipe. Une épreuve consistait à casser tour à tour une bouteille en verre enroulée dans une serviette à l’aide d’un marteau, à déposer le verre brisé sur un morceau de tissu étendu au sol et à faire quelques pas sur le verre brisé, pieds nus. Tous les participants se sont exécutés sauf un salarié qui est sorti en larmes de la salle. Il aurait ensuite été contraint d’expliquer au groupe les raisons pour lesquelles il avait décidé de ne pas marcher sur les morceaux de verre, l’amenant à révéler être porteur d’une pathologie hépatique.
Après enquête de la médecine du travail et des ressources humaines, le manager a été licencié pour faute grave. Ce dernier a saisi la juridiction Prud’homale pour contester cette décision. Il estime en effet que l’employeur ne peut lui reprocher son comportement dans la mesure où il s’est conformé à ses instructions pour l’organisation de cette activité. Cette argumentation n’est pas retenue par les juges.
En effet, si l’article L.4121-1 du code du travail dispose que l’employeur a l’obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale de ses salariés, l’article L.4122-1 du code du travail met à la charge de chaque travailleur, selon les conditions prévues par l’employeur au règlement intérieur, l’obligation de prendre soin de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres salariés.
La Cour d’appel considère que la faute du manager ne trouve pas son origine dans les modalités d’organisation de l’activité mais dans le fait qu’il ne soit pas intervenu durant le stage pour préserver l’intégrité physique et psychique de ses collaborateurs, méconnaissant ses obligations résultant des dispositions de l’article L. 4122-1 du code du travail, lesquelles étaient rappelées au règlement intérieur de l’entreprise.
La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond.
Soc. 23 octobre 2019, n°18-14260.
Parité Femme-Homme sur les listes électorales
A l’occasion d’un pourvoi, des organisations syndicales ont demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« La dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 2314-30 du code du travail est-elle contraire à l’objectif d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales, fixé par le second alinéa de l’article 1er de la Constitution et au principe de participation consacré par le huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en ce que l’application de la règle de l’alternance aboutit, dans le cas où la proportion d’hommes et de femmes au sein d’un collège électoral est très déséquilibrée, à une surreprésentation manifeste du sexe minoritaire au sein du comité social et économique ? ».
La Cour de cassation refuse de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.
Elle estime que le législateur peut adopter des dispositions revêtant un caractère contraignant tendant à rendre effectif l’égal accès des hommes et des femmes à des responsabilités sociales et professionnelles. L’obligation d’alternance entre les candidats des deux sexes sur les listes des élections professionnelles, prévue à la dernière phrase de l’article L 2314-30, alinéa 1er, du Code du travail, est proportionnée à l’objectif de parité recherché par la loi et ne méconnaît pas les principes constitutionnels de participation et d’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales (Soc. 24 octobre 2019, n° 19-18.900).
La Cour de cassation avait déjà été amenée à se prononcer en début d’année sur les règles relatives à l’équilibre hommes-femmes en matière d’élection professionnelle. Dans un arrêt du 13 février 2019, n° 18-17042 elle avait estimé que l’obligation faite aux organisations syndicales de présenter aux élections professionnelles des listes comportant alternativement des candidats des deux sexes, à proportion de la part de femmes et d’hommes dans le collège électoral concerné, répondait à l’objectif légitime d’assurer une représentation des salariés qui reflète la réalité du corps électoral et à l’objectif de promotion de l’égalité effective des sexes.
Barème Macron : nouvelle décision de la Cour d'appel de Paris qui valide le barème
Par un arrêt du 30 octobre 2019, la Cour d’appel de Paris s’en tient à la position de la Cour de cassation qui a validé le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au regard des textes internationaux. A la différence de la Cour d’appel de Reims, elle écarte la possibilité pour le juge de déroger au barème pour assurer une réparation appropriée.
En l’espèce, le salarié licencié avait 16 ans et 11 mois d’ancienneté. Selon l’article L.1235-3 du code du travail, il pouvait obtenir une indemnisation située entre 3 et 13.5 mois de salaire brut. Les juges lui accordent une indemnité de 67900 euros correspondant à 13 mois de salaire brut. Cette sommes est jugée adéquate, étant précisé que le salarié âgé de 45 ans a bénéficié de 15 mois d’indemnisation au titre du chômage puis d’une formation rémunérée.
Cour d’appel de Paris, 30 octobre 2019, n° 16/05602.
Travail dissimulé : pouvoir de sanction de l'URSSAF
Dans le cadre d’un contrôle, l’URSSAF a relevé l’existence d’infractions en matière de travail dissimulé qui ont donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal transmis au ministère public. Après deux lettres d’observations et une mise en demeure, l’URSSAF a délivré une contrainte à la société, laquelle a fait opposition devant une juridiction de sécurité sociale.
1- Sur le respect de la procédure
Dans cette affaire, la question était relative à la portée de l’article R.243-9 du code de la sécurité sociale qui précise, s’agissant de la procédure relative à l’infraction de travail dissimulé, qu’en cas « de réitération d’une pratique ayant déjà fait l’objet d’une observation ou d’un redressement lors d’un précédent contrôle, la lettre d’observations précise les éléments caractérisant le constat d’absence de mise en conformité […] le constat d’absence de mise en conformité est contresigné par le directeur de l’organisme effectuant le recouvrement ».
La Cour d’appel, pour accueillir le recours de la société et annuler le redressement litigieux se livre, sur la base de l’article R.243-9 du code de la sécurité sociale, à l’analyse des deux lettres d’observations successivement notifiées par l’URSSAF à l’employeur.
La première, du 22 septembre 2010, mentionne comme objet du contrôle l’application de la législation de sécurité sociale, de l’assurance chômage et de la garantie des salaires AGS, et se rapporte à la période du 1er janvier 2007 au 28 février 2009, avec comme date de fin de contrôle le 30 août 2010. La seconde, du 19 novembre 2010, revêtue de la mention « annule et remplace », mentionne comme objet du contrôle la recherche des infractions aux interdictions de travail dissimulé mentionnées aux articles L. 8221-1 et L. 8221-2 du code du travail, la fin du contrôle étant également fixée au 30 août 2010 .
Les juges en déduisent que la recherche des infractions n’avait pas pour seule finalité le recouvrement des cotisations sociales et que la procédure ayant abouti au redressement était fondée sur le constat de délit de travail dissimulé, ce qui imposait que le redressement soit porté à la connaissance de l’employeur par un document signé par le directeur de l’organisme de recouvrement . En l’espèce, la notification du redressement de l’assiette de cotisations en date du 19 novembre 2010 avait été signée par les inspecteurs de recouvrement c’est à dire en méconnaissance des dispositions du code de la sécurité sociale.
La Cour de cassation censure cette décision et précise que la recherche des infractions constitutives de travail illégal mentionnées à l’article L.8211-1 du code du travail est soumise, pour le recouvrement des cotisations qui en découle, à la procédure prévue par l’article R.243-59 du code de la sécurité sociale. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’un organisme de recouvrement procède, dans le cadre d’un contrôle de l’application de la législation de sécurité sociale à la recherche des infractions susmentionnées aux seuls fins de recouvrement des cotisations afférentes.
2- Sur les droits du cotisant
La Cour d’appel accueille également un autre argument développé par l’employeur, celui selon lequel il n’aurait pas bénéficié de l’assistance nécessaire dans le cadre de ce contrôle. En effet, les juges d’appel relèvent que le représentant de la société, anglophone, a été entendu « par le truchement » d’une personne dont il est mentionné dans le procès-verbal qu’elle n’était pas interprète professionnelle et qui a attesté de ce que, dépourvue de compétence en matière de traduction, elle a fait son possible pour que les parties se comprennent au mieux. De plus, à l’issue de l’entretien, le dirigeant de la société a refusé dans un premier temps de signer le document qu’on lui présentait, ne pouvant contrôler son contenu en français. Les contrôleurs de l’URSSAF lui auraient alors précisé » qu’il avait juste besoin de le signer pour en terminer là ».
Par conséquent et pour annuler le redressement, la Cour d’appel estime que l’employeur n’a pas bénéficié de l’assistance d’un interprète habilité lors de son audition relative à l’infraction de travail dissimulé, manquements préjudiciables aux droits du cotisants.
La Cour de cassation sanctionne cette décision estimant qu’il appartenait aux juges du fond de rechercher si le redressement litigieux n’était pas suffisamment fondé sur les autres éléments invoqués par l’URSSAF.
Civ., 2ème., 7 novembre 2019, n° 18-21.947.
PSE et RPS : quel contrôle du juge judiciaire ?
Dans cette affaire, une société a présenté au début de l’année 2015 un projet de réorganisation destiné à harmoniser et simplifier le processus de gestion informatique. Ce projet s’accompagnait d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) compte tenu de la suppression prévue de soixante et onze postes de travail. A la demande du CHSCT le projet a fait l’objet d’une évaluation concernant ces impacts sur la santé et la sécurité et les conditions de travail. Sur la base de ce rapport, le CHSCT a émis un avis défavorable.
Pour autant, un accord collectif majoritaire portant PSE a été conclu et validé par la DIRECCTE.
Suite au déploiement du projet, une nouvelle expertise a mis en évidence l’existence de risques psychosociaux. Par suite, le CHSCT a déclenché une procédure d’alerte et a fait assigner en référé la société afin qu’il soit constaté qu’elle n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité des salariés et que soit suspendue la mise en oeuvre du projet.
Le juge des référés a rejeté les demandes du CHSCT au motif qu’il ne serait pas compétent pour solliciter la suspension d’un projet entraînant un risque pour la santé des salariés. La Cour d’appel a infirmé l’ordonnance déférée sur ce point.
La société a formé un pourvoi en cassation. Elle estimait que dans le cadre d’un PSE, l’appréciation d’éventuels manquements de l’employeur concernant la santé et la sécurité des salariés étaient de la compétence du juge administratif.
Il revenait donc à la Cour de cassation de se prononcer sur le fait de savoir si l’appréciation des risques sur la santé des salariés d’un projet de restructuration avec PSE relevait de la compétence du juge administratif ou du juge judiciaire.
Selon les textes, l’autorité administrative est seule compétente pour contrôler un PSE dans le cadre de grands licenciements collectifs pour motif économique. Aussi, l’accord collectif, le contenu du PSE, les décisions prises par l’administration et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent pas faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision d’homologation du PSE prononcée par l’administration. Ces dispositions ne concernent pas expressément les PSE mis en oeuvre dans le cadre de projets de restructuration.
Par conséquent, la Cour de cassation valide la décision des juges du fond de reconnaître la compétence du juge judiciaire pour les demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en oeuvre du projet de restructuration.
Soc. 14 novembre 2019, n° 18-13887.
Licenciement pour faute grave d'un salarié en arrêt suite à un accident du travail
Dans cette affaire, un salarié victime d’un accident du travail survenu le 21 mai 2014 est placé en arrêt. Il a été licencié le 3 septembre 2014 pour absence injustifiée. Devant le Conseil de prud’hommes il conteste la décision et sollicite la nullité de la rupture.
La lettre de licenciement mentionne : « Malgré nos précédents courriers vous êtes une nouvelle fois en absence injustifiée ce jour car votre dernier arrêt de travail s’arrêtait au 5 août 2014. Votre attitude est négligente et préjudiciable car cela fait plusieurs fois que vous ne vous présentez pas au travail sans motif et sans justificatif. Ceci est inadmissible et porte atteinte au bon fonctionnement de l’entreprise. Etant obligé de vous remplacer, nous vous signifions votre licenciement à réception de cette lettre ».
En effet, le salarié avait fait l’objet de plusieurs avertissements pour absences injustifiées, jamais contestés. De plus, son contrat de travail comprenait en l’article 8 l’obligation en cas d’absence d’informer ou de faire informer son employeur et de fournir dans un délai de 48 heures un arrêt de travail ou un avis de prolongation.
Devant les juridictions, la question était de savoir si le licenciement reposait sur une faute grave ou non.
Alors que la Cour d’appel retient la qualification de faute grave estimant que les actes d’insubordination réitérés étaient préjudiciables à l’entreprise, la Cour de cassation s’attache au contenu de la lettre de licenciement et relève que l’employeur ne reprochait pas expressément de faute grave au salarié.
Cette décision est conforme à la règle selon laquelle le contenu de la lettre de licenciement fixe les limites du litige quant aux faits invoqués par l’employeur. Pourtant, il ne fait aucun doute que les faits reprochés au salarié constituaient une faute grave et étaient suffisamment étayés pour justifier de son licenciement. Si l’employeur a respecté la procédure de licenciement, un point de vigilance lui fait défaut, celui relatif à la rédaction de la lettre de licenciement.
Soc., 20 novembre 2019, n°18-16-715.
Contrôle du champ d'application d'un accord de branche étendu
Sur les faits : les fédérations patronales Syntec et Cinov ont signé avec plusieurs organisations syndicales un avenant n°37 prévoyant notamment l’intégration dans le champ d’application de la convention nationale des bureaux d’études ( aussi appelée Syntec) les activités d’analyses, d’essais et d’inspections techniques. L’avenant a été étendu par arrêté à tous les employeurs et tous les salariés relevant de la convention Syntec.
Trois bureaux d’études ont sollicité devant les juridictions l’annulation de l’avenant ou, à titre subsidiaire, son inopposabilité à leur égard. La Cour d’appel de Paris a d’une part rejeté leur demande de nullité et, d’autre part, prononcé l’inopposabilité de l’avenant à leur égard estimant que les sociétés n’étaient pas adhérentes des deux fédérations patronales signataires Syntec et Cinov.
Un pourvoi en cassation a été formé par les deux fédérations.
Selon une jurisprudence bien établie l’extension rend obligatoire l’application d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel à tous les employeurs entrant dans son champ d’application professionnel et territorial, à condition que les organisations patronales signataires soient représentatives dans ce champ à la date de la signature du texte (Soc., 16 mars 2005, n°03-16616).
Ainsi, et selon la Cour de cassation, même lorsqu’un accord avait été étendu, le juge devait vérifier si l’employeur était adhérent d’une organisation patronale signataire ou si l’organisation patronale signataire était représentative dans le secteur d’activité de l’employeur.
Cette jurisprudence se trouvait en contrariété par rapport au contrôle de l’arrêté d’extension opéré par le juge administratif. En effet, pour qu’un arrêté d’extension soit valide, le juge administratif vérifie que toutes les organisations syndicales et patronales représentatives dans les secteurs entrant dans le champ de l’accord ont été invitées à la négociation, même si elles ne l’ont pas toutes signé (CE, 6 décembre 2006, n° 273773). Le contrôle de l’arrêté d’extension suppose nécessairement la vérification, par le juge administratif, de la représentativité des organisations signataires ou invitées à la négociation.
Partant, par une décision du 27 novembre 2019, la Cour de cassation allège le contrôle du juge judiciaire en le dispensant de vérifier en présence d’un accord professionnel étendu que l’employeur compris dans le champ d’application dudit accord en est signataire ou relève d’une organisation patronale représentative signataire.
En l’espèce, l’avenant n° 37 de la convention Syntec avait expressément pour objet de rendre la convention Syntec applicable au secteur des activités d’analyses, essais et inspections techniques. Dès lors que cet avenant avait fait l’objet d’un arrêté d’extension, le juge judiciaire n’avait pas à contrôler qu’il avait été signé par les organisations syndicales et patronales représentatives de ce secteur sauf, en cas de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté d’extension, à saisir le juge administratif d’une exception d’illégalité. Il lui appartenait seulement de vérifier si l’activité des sociétés concernées relevait du secteur analyses, essais et inspections techniques, champ d’application visé par l’avenant n° 37.
Soc., 27 novembre 2019, n° 17-31442.
Risque pénal
Suicide du salarié à son domicile et poursuite pénale de l'employeur
Sur les faits, une salariée, médecin du travail, a été retrouvée sans vie à son domicile. L’enquête a conclu à un suicide. La victime a laissé derrière elle des éléments écrits accusant son employeur de harcèlement moral et de non-respect de la législation sociale à son égard. Elle exposait que sa mort devait être imputée à sa hiérarchie. Les membres de sa famille ont porté plainte. Le Procureur de la République a pris un réquisitoire introductif des chefs de harcèlement moral et d’homicide involontaire. Le juge d’instruction n’a ordonné aucune poursuite.
Les plaignants ont contesté cette décision.
S’agissant du harcèlement moral et pour dire qu’il n’y a avait lieu à poursuite, la chambre de l’instruction estime que la preuve de l’intention de nuire n’est pas rapporté. Or, le délit de harcèlement moral est légalement défini comme le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel .
La Cour de cassation sanctionne la chambre d’instruction qui a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, en l’espèce l’intention de nuire.
L’annulation du non-lieu pour le chef de harcèlement moral entraîne automatiquement l’annulation du non-lieu prononcé du chef d’homicide involontaire.
Crim., 13 novembre 2019, n° 18-85367.
Risque environnemental
La France condamnée pour pollution de l'air
Le cadre juridique européen impose aux Etats un certain nombre de mesures relatives à la lutte contre la pollution atmosphérique et notamment de le respect de valeurs limites.
Sur saisine de la Commission, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a condamné la France pour avoir insuffisamment lutté contre les dépassements des valeurs limites.
La CJUE relève que la France a dépassé de manière systématique et persistante la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote (NO2) depuis le 1er janvier 2010 dans douze agglomérations et zones de qualité de l’air françaises ce qui constitue un manquement à ses obligations relatives à la qualité de l’air.
Si les textes prévoient la possibilité d’une sanction pécuniaire, la CJUE n’a pas prononcé de peine d’amende ni exigé le versement d’une astreinte.
CJUE, 24 octobre 2019, affaire C‑636/18.
Sur l'impossibilité d'enjoindre l'ancien exploitant de remettre en état un site pollué
Le Conseil d’Etat a été saisi par la commune de Marennes (Charente-Maritime) suite aux rejets par le préfet et le Tribunal administratif de sa demande d’enjoindre l’ancien exploitant de remettre en état le site du Petit Port de Seynes et, à défaut de condamner l’Etat à lui verser la somme de 18 924 671 euros de dommages et intérêts.
En l’espèce, la commune de Marennes est propriétaire depuis 1958 d’une partie du site du Petit Port des Seynes, friche industrielle d’une superficie d’environ dix-sept hectares située sur son territoire et sur lequel une société a exploité, entre 1872 et 1920, une fabrique de soude et d’engrais chimiques. En 2001, souhaitant aménager la zone, la commune a fait réalisé une étude préliminaire qui a mis en évidence l’existence d’une importante pollution des sols et des eaux souterraines du site.
Selon l’arrêt du Conseil d’Etat, l’obligation de remise en état se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la cessation d’activité a été portée à la connaissance de l’administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés. Par conséquent, l’action aux fins de remise en état du site était prescrite à l’égard de l’ancien exploitant.
D’autre part le Conseil d’Etat considère que lorsque l’Etat ne peut plus mettre en demeure l’ancien exploitant de procéder à la dépollution du site, il peut, sans y être tenu, financer lui-même, avec le concours financier éventuel des collectivités territoriales, des opérations de dépollution. Ces opérations sont confiées à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ou à un autre établissement public compétent.
Les juges précisent que lorsqu’il apparaît que » la pollution d’un sol présente un risque grave pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques ou pour l’environnement, il incombe à l’Etat de faire usage de ses pouvoirs de police en menant notamment des opérations de dépollution du sol, pour assurer la mise en sécurité du site, compte tenu de son usage actuel, et remédier au risque grave ayant été identifié ».
En l’espèce, le préfet avait été à l’initiative d’une tentative de conciliation avec l’ancien exploitant. Cette voie n’ayant pas abouti, il avait confié la sécurisation du site à l’ADEME. Le Conseil d’Etat ne retient aucune carence fautive de l’Etat.
Conseil d’Etat, 13 novembre 2019, n° 416860.